Au procès Deliveroo, un ex-dirigeant dément tout lien de "subordination"
Au procès de Deliveroo pour "travail dissimulé" à Paris, un ancien dirigeant de la plateforme a démenti mardi tout lien de subordination pour les livreurs alors que les parties civiles ont qualifié l'indépendance qui leur était promise de "véritable illusion".
Recruté à 27 ans en mars 2015, moins d'un mois avant le lancement de la start-up britannique en France, Elie de Moustier choisit ses mots devant le tribunal, corrigeant parfois ceux employés par la présidente ou les avocats de la centaine de livreurs parties civiles.
Deliveroo ne délivrait pas de "consignes" mais des "informations", elle n'appliquait pas de "sanctions" mais des "retenues tarifaires" et elle n'exerçait pas "un suivi des livreurs" mais "des commandes", affirme-t-il à la barre.
Avec deux autres ex-dirigeants et la société Deliveroo France, il est soupçonné d'avoir employé des livreurs en tant qu'indépendants entre 2015 et 2017 alors qu'ils auraient dû être salariés.
En tant que directeur des opérations jusqu'en juin 2018, le jeune dirigeant était notamment chargé de trouver de nouveaux "livreurs partenaires" pour répondre à une croissance galopante.
"La demande du salariat n'était pas quelque chose qui était porté par les livreurs avec lesquels j'échangeais", assure Elie de Moustier, pantalon noir, chemise blanche et pull gris.
Méthodiquement, le tribunal l'interroge sur les éléments pouvant s'apparenter à un "contrôle" de la société sur ses "riders", le nom donné en interne aux coursiers.
Plusieurs messages sont cités, reprochant à des livreurs d'avoir refusé trop de courses ou leur annonçant que leur compte était "désactivé" pour avoir été "dans l'incapacité de livrer les pizzas".
Le dirigeant assure que les coursiers pouvaient se retirer temporairement de la plateforme à tout moment. On lui objecte plusieurs messages qui évoquent la nécessité d'envoyer un mail pour faire valider les congés.
- "L'algorithme et la peur" -
Alors qu'il affirme qu'un livreur a vu son compte résilié pour "raisons d'hygiène", la diffusion de l'enregistrement de leur conversation montre qu'il lui reproche de ne pas utiliser "le branding" - la veste et le sac aux couleurs de Deliveroo.
Deliveroo éditait elle-même les factures de ses livreurs? Ce service était plébiscité "pour la simplicité administrative et la rapidité du paiement qui s'ensuivait", explique le dirigeant.
Un avocat des parties civiles souligne que la géolocalisation, censée servir uniquement à vérifier que la commande arrive à bon port, a été utilisée pour déconnecter certains livreurs parce qu'ils se trouvaient hors de la zone à laquelle ils étaient assignés.
Beaucoup de questions évoquent aussi les "statistiques" des livreurs qui conditionnent l'accès aux créneaux les plus demandés.
M. de Moustier juge logique qu'il y ait "des incitations", pour "donner plus de créneaux aux livreurs" qui tiennent "leurs engagements", mais se montre peu précis sur les critères pris en compte, l'algorithme étant "développé à Londres", par la société mère.
Interrogé ensuite, Dirk Bogaert, actuel responsable des opérations pour les marchés européens, reconnaît que ce système de statistiques "n'était pas prévu au contrat". "Mais ça ne changeait pas fondamentalement le contexte contractuel entre nous et les +riders+", juge-t-il.
En mars 2020, Deliveroo a abandonné ce modèle de réservation de créneaux. Dans la "situation très incertaine" née de la pandémie, l'entreprise a souhaité donner une "liberté totale" aux coursiers, explique le dirigeant d'origine belge.
"Donc vous confirmez qu'avant il n'y avait pas de liberté totale?", rebondit Me Kevin Mention, avocat des livreurs.
"Le mensonge originel, c'est dire que Deliveroo est une plateforme d'intermédiation", s'emporte l'avocat du Syndicat national des transports légers (SNTL) dans sa plaidoirie, estimant que la livraison fait bien partie du service vendu par la société.
Il dénonce une "concurrence déloyale" avec des tarifs 30% à 40% moins chers, contre laquelle les "entreprises traditionnelles qui jouent le jeu" ne peuvent pas lutter.
Refus de congés, avertissements aux coursiers qui "ne portaient pas la tenue", "contrôle sur le terrain" des "ambassadeurs", factures établies par la société: "on a tous les éléments du salariat", estime Me Mention.
Le contrôle chez Deliveroo, ajoute-t-il, se faisait "par l'algorithme, par l'homme et par la peur".
(C.Fontaine--LPdF)