Au procès d'un des "Beatles" de l'EI, un ancien otage revit ses 14 mois d'enfer
Battu, électrocuté, obligé de se battre contre d'autres otages ou d'assister à une exécution: un humanitaire italien a raconté jeudi, au procès d'un de ses ravisseurs, les sévices endurés aux mains de jihadistes britanniques particulièrement sadiques.
Federico Motka, qui a été détenu pendant 14 mois par le groupe Etat islamique (EI), a livré un témoignage glaçant au deuxième jour du procès d'El Shafee el-Sheikh, devant la justice américaine.
Cet homme de 33 ans, déchu de sa nationalité britannique, est accusé d'avoir fait partie d'un groupe de geôliers surnommés "les Beatles" par leurs otages en raison de leur accent britannique.
A la barre, Federico Motka a repris cette appellation. "+George+, +Ringo+ et +John+ étaient là dès le premier jour" et quasi jusqu'au dernier, a-t-il assuré.
"Bienvenue en Syrie, clébard", avait lancé l'un d'eux lors de sa capture et celle de son collègue britannique David Haines, le 12 mars 2013, donnant d'emblée le ton des humiliations à venir.
Après un premier mois ponctué "de coups ici et là et d'intimidations", l'Italien a connu son premier tabassage en règle "avec un câble épais en caoutchouc" parce qu'il avait échangé, contre leurs consignes, avec un prisonnier syrien.
S'en est suivi "le régime des punitions", la période la plus difficile de sa captivité, qui durera jusqu'en mai 2014.
- "Impossible de respirer" -
Transférés dans une prison surnommée "la Boîte" en raison de son exiguïté, Federico Motka et David Haines sont soumis à des séances d'électrocution, sont obligés de rester des heures dans des positions inconfortables, privés de nourriture, battus...
Deux journalistes, le Britannique John Cantlie et l'Américain James Foley, sont dans une autre cellule. "On ne les voyait pas, mais on entendait leurs cris."
Un jour, les bruits qui leur parviennent sont différents: les "Beatles" soumettent les journalistes à des simulations de noyade. L'Italien n'y échappera pas.
Après avoir eu sa tête plongée dans un seau d'eau, il doit retirer son pull. "+Ringo+ l'a appuyé sur mon visage, +George+ l'imbibait d'eau avec un tuyau, c'était impossible de respirer", décrit-il.
Un autre jour, les quatre prisonniers sont réunis pour la première fois. "Ils nous ont ordonné de nous battre entre nous. (...) On était tellement faibles qu'on avait à peine la force de lever les bras, John (Cantlie) et James (Foley) ont fini par s'évanouir."
Au début du ramadan, les quatre hommes, amaigris et fragilisés, sont transférés dans une autre prison et placés sous la supervision d'un groupe de jihadistes francophones avec d'autres otages européens.
Mieux nourris, ils peuvent parler avec leurs gardes sans se faire battre. C'était "un virage à 180 degrés", dit-il.
- Cruauté -
Les "Beatles", toujours masqués, font un passage en septembre. "David et moi étions terrifiés" de les revoir.
A partir de novembre, ils reviendront de manière plus régulière dans le cadre de leurs efforts pour obtenir des millions de dollars de rançon: ils récupèrent des adresses mail, prennent des photos ou des vidéos pour prouver que leurs otages sont toujours en vie...
Leur cruauté se manifeste à nouveau.
Un jour, ils forcent leurs otages à regarder des photos d'un ancien prisonnier russe. "On voyait le crâne de Sergueï, mort, avec des impacts de balles, et il fallait qu'un par un on la décrive à voix haute."
Une autre fois, Federiko Motka et quatre autres Européens sont obligés d'assister à l'exécution d'un captif syrien. "+George+ chorégraphiait la scène, +Ringo+ était derrière la caméra et +John+ a tiré."
Les cinq otages tiennent des messages à l'adresse de leurs proches. L'un d'eux suggère que sans paiement de rançon, "nous serons les prochains".
Les Espagnols, Français, Danois, Allemand sont finalement libérés. Lui le sera le 25 mai 2014.
Mais les Américains et les Britanniques, dont les pays refusent de verser des rançons, seront exécutés quelques mois plus tard, et leur mort mise en scène dans d'autres vidéos de propagande.
Leur meurtre vaut à El Shafee el-Sheikh, arrêté en 2018 par les forces kurdes syriennes, de faire face à la justice américaine.
Pour l'accusation, il était "Ringo". Lui nie avoir été un des "Beatles", malgré des interviews accablantes données à des médias avant son transfert aux Etats-Unis.
Son procès, le premier d'un jihadiste de l'EI de cet acabit sur le sol américain, doit durer au moins trois semaines.
(C.Fournier--LPdF)