En Hongrie, procès d'une Italienne incarnant pour Orban la "violence d'extrême gauche"
Le procès d'une Italienne, accusée d'avoir attaqué des néo-nazis présumés et qui était apparue enchaînée devant un tribunal, débute vendredi en Hongrie, une affaire qui a suscité une forte émotion dans la péninsule et des tensions diplomatiques.
Ilaria Salis, 39 ans, comparaîtra libre: elle est sortie de prison à la veille de l'audience, se trouvant désormais assignée à résidence dans la capitale Budapest.
Cette enseignante de Monza, près de Milan a passé de longs mois en détention, sous haute sécurité, le parquet hongrois l'accusant de "tentatives d'agression mettant en danger la vie d'autrui dans le cadre d'une organisation criminelle".
Il a requis onze ans de prison avec le soutien bruyant du gouvernement, qui évoque souvent son cas publiquement en disant vouloir "défendre les Hongrois" contre la "violence de l'extrême gauche" venue de l'étranger.
Des images de la militante arrivant enchaînée et les pieds liés devant les juges en début d'année, avaient provoqué une vive indignation dans son pays d'origine, au-delà des débats partisans.
La présidente du Conseil Giorgia Meloni, qui dirige le parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, avait téléphoné à son homologue Viktor Orban et l'ambassadeur de Hongrie avait dû s'expliquer auprès de Rome sur un traitement jugé "inapproprié".
- "Crime brutal" -
Incarcérée depuis février 2023 en marge d'une manifestation contre un rassemblement néo-nazis, Ilaria Salis est accusée par le parquet d'avoir commis des violences à plusieurs reprises.
Forte de sa nouvelle notoriété, elle a été choisie comme tête de liste par un petit parti italien, Alliance des Verts de gauche (AVS), pour les élections européennes du 9 juin.
Si elle est élue, son immunité parlementaire entraînerait la fin des poursuites.
La polémique a relancé les débats autour de l'indépendance de la justice en Hongrie, mise à mal selon Bruxelles depuis le retour au pouvoir du dirigeant nationaliste en 2010.
Une nouvelle fois jeudi, le gouvernement s'est immiscé dans l'affaire.
"Ce qu'on voit là est tout à fait scandaleux", a commenté devant la presse le chef de cabinet du Premier ministre Gergely Gulyas. "Cette personne commet un crime brutal et l'extrême gauche européenne prend sa défense, essayant même d'en faire une députée", s'est-il étranglé.
L'ONG Amnesty International a dénoncé les "conditions dégradantes" de l'incarcération d'Ilaria Salis jusqu'à son assignation à résidence, finalement accordée contre une caution de 16 millions de forints (41.000 euros).
"En période d'isolement les huit premiers jours, elle n'a eu ni savon, ni papier toilette ni serviettes hygiéniques", rappelle à l'AFP son père Roberto Salis. "Et on lui a refusé la moindre douche durant plus d'un mois", ajoute-t-il.
La surpopulation dans les prisons hongroises a été critiquée par le Conseil de l'Europe et selon Eurostat, ce pays d'Europe centrale est celui dans l'UE comptant le plus grand nombre de prisonniers: 200 pour 100.000 habitants en 2022, soit quasiment le double de la moyenne des Vingt-Sept.
- "Ennemis d'Etat" -
Ce n'est pas la première fois que la Hongrie est sur la sellette.
En 2016, un migrant syrien nommé Ahmed H. avait été condamné en première instance à dix ans de prison ferme pour terrorisme après avoir jeté trois projectiles en direction de la police lors d'une émeute en pleine crise des réfugiés.
Un jugement qui avait provoqué les critiques de Bruxelles comme de Washington, Budapest étant soupçonné de vouloir se fabriquer un ennemi imaginaire pour surjouer la protection de sa population.
Dans le cas d'Ilaria Salis, la défense se plaint de la lenteur de la procédure, notamment de l'absence de "traduction en italien" à ce stade des "documents de l'enquête", selon l'avocat György Magyar.
L'accusée, qui rejette les allégations, se considère comme une prisonnière politique.
"Je garde la tête haute depuis le premier jour parce que je me sais du bon côté de l'histoire", a-t-elle déclaré au journal italien La Stampa par l'intermédiaire de son père.
"En Hongrie, on considère ces gens (les néo-nazis) comme des patriotes et les antifascistes comme des ennemis d'Etat", dénonce-t-il auprès de l'AFP, pointant aussi l'aide "limitée" apportée par le gouvernement italien.
L'ambassadeur d'Italie à Budapest doit néanmoins assister au procès qui commence à 09H00 (07H00 GMT) avec l'audition d'une des victimes et des témoins.
(C.Fournier--LPdF)