Salvador: Un Nayib Bukele aux pleins pouvoirs entame son second mandat
Au sommet de sa popularité, avec tous les organes du pouvoir à sa main après des élections triomphalement remportées en février, Nayib Bukele entame samedi son deuxième mandat de président du Salvador.
L'ex-publiciste de 42 ans, plébiscité pour avoir mené une "guerre" sans merci contre les gangs qui terrorisaient le pays, prêtera serment à partir de 08H00 locales (14H00 GMT) au Palais national, dans le centre historique de San Salvador.
Parmi les dignitaires présents, le président argentin Javier Milei, avec qui il partage les idées conservatrices et des sympathies pour l'ancien président américain Donald Trump. Ce dernier a d'ailleurs envoyé son fils, Donald Trump Junior, arrivé vendredi soir à San Salvador.
Peu de chefs d'Etat s'aligneront sur la photo, à l'exception des présidents d'Equateur, du Honduras, du Costa Rica ou encore du Paraguay. Le roi Felipe d'Espagne sera présent.
Nayib Bukele se décrit volontiers comme un "dictateur cool" pour se moquer de ceux qui l'accusent d'autoritarisme et de se maintenir au pouvoir grâce à des magistrats complaisants ayant interprété la loi pour permettre sa réélection, pourtant interdite par la Constitution.
"Ce qu'il a démontré, c'est que la loi n'a pas d'importance et qu'il peut faire ce qu'il veut et comme il veut", estime auprès de l'AFP le chercheur en sciences sociales Carlos Carcach, décrivant un président "tout-puissant".
Il aime à répéter les statistiques gouvernementales d'un taux d'homicide réduit à 2,4 pour 100.000 habitants en 2023, contre 87 pour 100.000 en 2019 à son arrivée à la présidence, alors l'un des plus élevés au monde hors période de conflit. Il se targue d'avoir fait du Salvador le "pays le plus sûr au monde".
Mais la fin des crimes et des extorsions des "maras" du Barrio 18 et de la Mara Salvatrucha se paient au prix d'un régime d'exception en place depuis mars 2022 et de 80.300 membres présumés de gangs sous les verrours sans mandat judiciaire.
Human Rights Watch et Amnesty International rapportent des cas de mauvais traitements, de torture et même de décès en prison, ainsi que nombre d'innocents privés de liberté.
- Endettement et pauvreté -
Après la violence des bandes criminelles, M. Bukele doit maintenant s'attaquer à la dette publique, passée de 19,8 milliards de dollars à quelque 30 milliards, soit 84% du Produit intérieur brut (PIB), ainsi qu'à la pauvreté, qui a crû de 22,8% en 2019 à 27,2% en 2023, selon les données officielles.
La dette a été contractée pour des dépenses en infrastructures publiques, dans sa lutte sécuritaire et inhérente à la pandémie.
La sécurité retrouvée pourrait en revanche attirer des investissements directs étrangers, qui en 2023 se sont élevés à 759 millions de dollars, contre 171 millions en 2022, selon les chiffres officiels.
Mais encore faut-il que les investissements dans des mégaprojets immobiliers et touristiques ruissellent jusqu'à ceux qui en ont le plus besoin.
"Si nous avons voté pour lui, nous attendons de Bukele qu'il améliore nos vies, parce que la situation économique dans laquelle on vit est très difficile", affirme Blanca Ramos, une vendeuse de bananes de 61 ans.
Le coût du panier alimentaire de base a augmenté d'environ 30% au cours des trois dernières années. "Mon salaire ne suffit plus", souffle Flor Bertran, mère de famille de 36 ans, à la recherche de bonnes affaires sur les étals d'un marché de la capitale.
Pour Rafael Lemus, analyste économique indépendant, "il faudrait augmenter les salaires", mais la marge de manoeuvre est étroite.
Le Salvador a enregistré une croissance du PIB de 3,5% en 2023, contre 2,8% en 2022, ce que le gouvernement Bukele attribue à la réduction de la violence criminelle. Le FMI prévoit 3% fin 2024, et un prêt de 1,3 milliard est en cours de discussions.
Avec un Parlement où son parti Nuevas ideas détient 54 des 60 sièges, Bukele a les mains libres pour réformer la Constitution, après l'approbation en avril par les députés d'un mécanisme pour accélérer les changements.
"Ils ont ouvert la porte à toute réforme constitutionnelle", met en garde l'analyste Eugenio Chicas, qui soupçonne Nayib Bukele de pencher vers un "régime dictatorial" et une réélection indéfinie.
D'autant que selon Oscar Picardo, directeur de recherche à l'université Francisco Gavidia, "un phénomène de culte (Bukele) s'est installé dans le pays".
(F.Moulin--LPdF)