Au procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny, les vies et "l'insouciance" perdues
Pour un procès très attendu, une lecture des faits extraordinaire: le premier jour du procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny s'est achevée sur les mots graves et profondément humains de la présidente de la chambre d'audience, qui a livré un rapport des faits surprenant.
Le 12 juillet 2013, il est 17h11 quand un train déraille en gare de Brétigny-sur-Orge (Essonne), provoquant la mort de sept personnes et en blessant plus de 400. Pendant huit semaines, le tribunal correctionnel d'Evry doit établir les responsabilités des trois prévenus dans cet accident: la Société nationale SNCF, SNCF Réseau et un cadre cheminot.
Après avoir appelé les très nombreuses parties civiles et défini le calendrier de la soixantaine d'audiences, la présidente, Cécile Louis-Loyant, a rappelé les faits, se glissant dans la peau des protagonistes.
Au début, avant le drame, il y avait "la poésie des mots au service de la beauté d'un voyage, d'un paysage qui file, des lumières changeantes, mouvantes", commence-t-elle, d'une voix suave.
- "Le temps suspendu du bonheur" -
Un voyage rendu possible par "la grande dame" qu'est la SNCF, "notre patrimoine à tous", au sein de laquelle les cheminots sont liés par une "solidarité" entre collègues et "une solidité à l'épreuve des événements", malgré des conditions difficiles de travail.
Depuis sa salle d'audience, la présidente remonte le temps et s'assoit dans l'Intercités Paris-Limoges 3657.
"17h10, à l'approche de Brétigny-sur-Orge à 137km/h, je suis assise à côté de ma petite fille (...) Je lis un roman policier, des lunettes sur le nez", dit-elle.
Survient alors "le fracas des tôles, des linceuls de fumée, puis de poussière", décrit-elle d'une voix grave: "17h11, c'est l'heure qui apparaît sous le cadran brisé de la montre".
"Là, en une seconde, en une minute, la vie de centaines de personnes quitte l'insouciance (…) pour basculer dans la stupeur, l'horreur, la douleur, insupportable, la vision de l'agonie de la femme de sa vie, le drame ou le néant".
"17h12, c'est le temps jusque-là suspendu du bonheur, du voyage qui se brise, qui explose". Des frissons traversent les bancs des parties civiles. Certaines pleurent quand la présidente constate: "Ce ne serait jamais plus comme avant ce vendredi 17h10".
"Comme vous, le tribunal est là pour comprendre mais lui doit juger. Il doit juger si les prévenus ont commis une, quatre ou 15 des fautes comme le dit l'accusation", explique la présidente, s'adressant aux parties civiles.
L'accusation reproche au gestionnaire des voies SNCF Réseau (qui a succédé à Réseau ferré de France) "des fautes" ayant "conduit à l'absence de renouvellement anticipé" de la voie ou à "l'insuffisance des effectifs", ainsi que des défaillances "dans l'organisation, le contrôle et la réalisation des opérations de maintenance" à la Société nationale SNCF (héritière pénalement de SNCF Infra, chargée de la maintenance).
Âgé de 24 ans au moment des faits, le cheminot, directeur de proximité, devra répondre d'"une appréciation fautive": celle d'avoir effectué "seul la dernière inspection des voies", avec une attention "manifestement insuffisante", huit jours avant le déraillement.
Il ne travaille plus à la SNCF et est aujourd'hui marié et père de trois enfants, a-t-il déclaré lundi à la barre.
"La SNCF n'a jamais prétendu que le système était parfait" mais "jamais au regard des difficultés rencontrées, la sécurité n’a été en jeu", a affirmé Emmanuel Marsigny, avocat de la Société nationale SNCF, en marge de l'audience.
D'après Me Marsigny, la SNCF souhaite que la justice puisse trancher "entre deux thèses": celle d'un "défaut de maintenance" retenue par l'enquête, et celle d'un "défaut de métallurgie rendant imprévisible l'accident", soutenue par l'entreprise.
Au cours de l'enquête, les magistrats instructeurs avaient souligné "les difficultés rencontrées" pour recueillir auprès de la SNCF des "documents essentiels permettant de retracer les opérations de maintenance".
Lundi, Me Marsigny a assuré que la SNCF avait "toujours collaboré" à l'enquête. "Il n'a jamais été question de la part de la SNCF ni de sa direction juridique d'interférer de quelque manière que ce soit, ni de faire entrave à l’enquête".
A ce jour, 435 victimes ont été identifiées. Parmi elles, 184 se sont portées parties civiles, dont Lauriane Welter, pour qui le procès est "primordial à la reconstruction". "Ce drame impacte toute ma vie. Aujourd'hui, tout est un stratagème pour vivre et pour voyager. On m'a volé ma liberté de mouvement, malgré de multiples thérapies", a raconté cette trentenaire à l'AFP.
L'audience reprend mardi avec la présentation des prévenus.
(A.Monet--LPdF)