L'univers caché des "snack-bars" japonais s'ouvre aux touristes
Dans une rue de Tokyo bordée d'enseignes lumineuses, en haut d'un étroit escalier, une porte peu engageante s'ouvre sur un "snack-bar", lieu apprécié des habitués, mais quasiment invisible pour les touristes - jusqu'à présent.
Ces bars confortables et rétro, souvent nichés dans les étages des immeubles, sont généralement tenus par une femme surnommée "mama", qui discute avec les clients tout en leur servant boissons, cacahuètes, calamars séchés et autres petits plats à grignoter.
Bien que les "snacks" fassent partie intégrante de la vie nocturne japonaise, leur caractère discret et caché peut intimider, en particulier ceux qui ne parlent pas la langue du pays.
C'est pour eux qu'une agence a décidé de proposer des visites guidées de snack-bars tels que "Kuriyakko", dans le quartier tokyoïte de Shimbashi.
A l'intérieur, de faibles lumières se reflètent chaleureusement sur les carreaux de faïence rouges, illuminant un poster art-déco tandis qu'une famille américaine chante les tubes "Hey Jude" et "Take Me Home, Country Roads".
Nora, qui vivait auparavant au Japon, explique à l'AFP avoir réservé la visite pour ses parents, sa sœur, sa tante et son oncle après en avoir appris l'existence sur Instagram.
- 100.000 snacks au Japon -
"J'ai toujours vu les enseignes des snacks, mais je ne savais pas trop comment y entrer ou ce qu'il fallait y faire", explique cette trentenaire, désormais installée à San Francisco et qui n'a souhaité donner que son prénom.
"Ma famille ne va pas souvent au Japon, c'était donc une bonne occasion d'avoir une véritable expérience de la culture des bars" de manière "joviale" et "intime".
La guide de l'agence Snack Yokocho explique au groupe comment commander en japonais du whisky et du vin de prune "umeshu", et à dire "santé" ("kanpai !").
Vêtue d'un élégant kimono rose pâle et coiffée d'un chignon traditionnel, la "mama" Kuri Awaji, qui œuvre depuis 25 ans derrière le bar de Kuriyakko, accompagne les clients qui poussent la chansonnette sur un karaoké.
Selon Snack Yokocho, le Japon compte environ 100.000 snack-bars. Si des femmes y officient la plupart du temps, certains sont tenus par des hommes.
Bien que l'atmosphère y soit moins à la recherche d'une rencontre que dans les bars à hôtes et hôtesses modernes, l'accent étant mis sur la conversation conviviale, les snack-bars sont historiquement liés tout de même aux "quartiers chauds" du Japon.
Après la Seconde Guerre mondiale, certaines femmes se sont tournées vers le travail du sexe pour survivre, mais des lois anti-prostitution ont été introduites au moment des Jeux olympiques de 1964, explique Mayuko Igarashi, représentante de Snack Yokocho.
Pour gagner de l'argent, elles ont donc "posé une simple caisse en bois dans la rue et ont commencé à y servir des boissons et des snacks", d'où le nom de ces établissements.
- De plus en plus de femmes clientes -
Nombre d'entre elles étaient divorcées et élevaient seules leurs enfants, d'où le surnom de "mama", selon Mme Igarashi: "Il était difficile pour elles de travailler en journée, alors une fois les enfants couchés, elles tenaient le comptoir", explique-t-elle.
Selon Mme Igarashi, il y aurait eu 200.000 snack-bars au Japon dans les années 1950-60, mais leur nombre a diminué à mesure que les "mama" prenaient leur retraite ou vendaient leur affaire.
Aujourd'hui, avec le nombre record de touristes qui visitent le Japon, Snack Yokocho affirme que l'intérêt pour ses circuits est croissant.
Outre les snacks "classiques" comme Kuriyakko, l'entreprise se rend dans des snack-bars à thème, dont l'un est spécialisé dans le golf.
Elle organise aussi parfois des visites guidées pour les Japonaises qui souhaitent découvrir la culture des snacks, mais qui hésitent à pousser seules leurs portes.
Pendant des années, la clientèle de ces bars était presque exclusivement masculine, selon M. Igarashi.
Mais avec la présence accrue des femmes sur le marché du travail, les snacks sont devenus un "endroit où elles peuvent se détendre ou parler de leurs problèmes à la mama".
Les gens ont tendance à parler sur les réseaux sociaux, mais après une mauvaise journée, rien ne vaut la communication face à face, selon elle.
"Dans un snack-bar, les gens peuvent se regarder dans les yeux et apprendre à se connaître très rapidement, même des inconnus."
(Y.Rousseau--LPdF)