Prostitution et pédophilie: la face obscure du tourisme de masse à Medellin
Chaque soir, la scène se répète : des centaines de jeunes femmes en tenue légère s'installent sur l'une des principales places de la ville colombienne de Medellin pour proposer leurs services sexuels.
Connue dans les années 1990 pour les violences liées au narcotrafic, Medellin est aujourd'hui une destination incontournable pour le tourisme branché et les "nomades digitaux". Mais, en quelques années, avec sa vie nocturne animée, la ville de 2,6 millions d'habitants est aussi devenue un haut-lieu du tourisme sexuel mondial, pédophilie comprise.
"Les femmes sont le moteur du tourisme à Medellin. Les hommes viennent ici pour chercher des femmes et se droguer", assène à l'AFP Milena, l'une des nombreuses travailleuses du sexe qui envahissent chaque soir le quartier d'El Poblado, couru des touristes occidentaux.
- "Touché le fond" -
Si la prostitution était restreinte (elle est actuellement légale), le tourisme "baisserait beaucoup", juge la trentenaire sous couvert d'anonymat, disant gagner en une nuit entre 150 et 300 dollars, l'équivalent du salaire minimum mensuel.
Mais l'offre ne se limite pas aux adultes. "La pédophilie mondiale en profite pour venir ici", dénonce Jazmin Santa, membre de l'ONG locale "Comité intersectoriel contre l'exploitation sexuelle des enfants".
La "Personeria" (institution locale en charge des droits de l'Homme) a constaté une explosion en trois ans des cas d'abus sexuels sur des enfants : 61 en 2021, 792 en 2022 et 1.259 en 2023.
Fin mars, l'arrestation d'un touriste américain de 36 ans, surpris dans sa chambre d'hôtel en compagnie de deux adolescentes de 12 et 13 ans, a jeté un coup de projecteur cru sur le phénomène.
Aucune infraction n'ayant pu être caractérisée, l'homme a été relâché et a embarqué fissa vers les États-Unis, mais l'affaire a suscité l'indignation nationale.
"Nous avons touché le fond, la situation est grave et difficile", a commenté alors le maire Federico Gutierrez, qui a pris deux décrets pour tenter d'endiguer "l'exploitation sexuelle", promettant de s'attaquer aux "bandes criminelles" impliquées dans ce commerce.
Ces décrets prévoyaient un contrôle plus strict des hôtels, bars et discothèques de la zone avec notamment une avancée provisoire des horaires de fermeture, ainsi qu'un plus grand contrôle des touristes arrivant aux aéroports.
- "Escortes" -
Mais dans les faits, rien n'a changé, ou presque. Les touristes continuent de venir le soir faire leur marché au milieu des bars branchés et discothèques aux néons criards où des jeunes femmes tentent d'attirer les regards.
Les travailleuses du sexe négocient avec leurs clients au su et au vu de tous dans les rues d'El Poblado, où le défunt baron de la cocaïne Pablo Escobar a vécu dans les années 1980.
Medellin est devenu "un épicentre des services sexuels en Amérique latine", avec beaucoup de femmes qui viennent d'autres pays et notamment du Venezuela, observe Jazmin Santa, qui rappelle que la ville réputée pour son "éternel printemps" est aussi connue comme "capitale de la webcam" pornographique.
Pour le président du syndicat des travailleurs du sexe du département d'Antioquia, Valery P. Ramirez, la réponse du maire est "punitive et anticonstitutionnelle".
Si les mesures ne visent pas directement les prostituées, elles "portent atteinte à l'exercice libre et volontaire du travail du sexe". Et ne solutionnent pas "le crime d'exploitation sexuelle et commerciale des enfants".
Selon cette même organisation, quelque 1.500 adultes se livrent au commerce du sexe à Medellin.
En Colombie, l'âge du consentement est de 14 ans. Parfois, les auteurs profitent de la "frontière ténue entre le consentement et le paiement d'un service sexuel" avec un mineur, explique Jazmin Santa.
Au moins une douzaine d'étrangers ont été arrêtés cette année pour exploitation sexuelle de mineurs à Medellin, d'après les chiffres de la police.
- "Narco, sexe et Airbnb" -
Selon la mairie, le nombre de visiteurs à Medellin est passé de 212.000 en 2015 à 1,5 million en 2023, dont la moitié d'étrangers, certains attirés par une narco-culture entretenant le souvenir du sanguinaire Escobar.
"La grande majorité des touristes ne viennent pas pour avoir des relations sexuelles", tente de rassurer le secrétaire d'État au Tourisme, José Gonzalez. "Mais bien sûr il y en a. Tant qu'ils le font légalement, nous ne pouvons rien faire", commente-t-il à l'AFP.
La ville, qui accumule prix touristiques, récompense de la "meilleure destination émergente" et autres "World travel Awards", cherche à se concentrer sur "le tourisme de santé, le tourisme sportif et les nomades numériques".
Derrière cette vitrine très marketing, Medellin, comme Barcelone, Venise ou d'autres, est désormais confrontée aux désagréments du tourisme de masse.
"Narco, sexe et Airbnb", titrait en avril un article du centre de réflexion La Silla Vacia, pointant du doigt la "prostitution, l'exploitation sexuelle et les loyers chers", avec une gentrification croissante de certains quartiers.
Selon la mairie, Medellin compte 14.000 hébergements de type Airbnb, dont 6.000 pour le seul quartier d'El Poblado.
En 2023, 39 touristes étrangers ont par ailleurs trouvé la mort à Medellin, dont sept assassinés, tandis que plusieurs autres ont été victimes d'intoxication à la scopolamine, un alcaloïde puissant communément appelé "drogue des voleurs" et parfois utilisé sur les usagers un peu trop naïfs des applications de rencontre.
(E.Beaufort--LPdF)