A Marseille, le pass obligatoire pour accéder à une crique fait aussi des heureux
"C'est génial", ou bien, "on a l'impression que c'est du flicage" : les réactions étaient contrastées dimanche sur le chemin menant à Sugiton, minuscule crique méditerranéenne de Marseille menacée d'érosion, dont l'accès est désormais soumis à une réservation préalable, une première en France.
"Ce matin, tout se passe bien, espérons que ce soit le cas toute la saison", explique à l'AFP Mathieu Benquet, chargé de mission police et risque au sein du Parc national des Calanques, posté à l'ultime point de filtrage, à quelques centaines de mètres des eaux turquoises de la calanque de Sugiton.
"Entre 30 et 50 personnes", notamment des étrangers, ont dû rebrousser chemin à ce niveau-là, explique-t-il, faute d'être en possession du précieux sésame, un QR code de réservation qu'il fallait télécharger. Et refaire donc, en sens inverse et en montée, environ 45 minutes de marche sous un soleil de plomb et au rythme du chant des cigales.
Mais "beaucoup plus" ont été recalés "dès l'entrée du massif", où le Parc avait mis en place deux points d'information du public, permettant un premier filtrage, ajoute M. Benquet. Pour toute personne forçant le barrage, l'amende est de 68 euros.
"On s'attendait à une petite proportion de personnes qui allaient râler, on reste dans les clous de ce qu'on avait imaginé", souligne Cyprien Giffon, 28 ans, un des écogardes.
Mais pour Younes Azabib, Marseillais de 26 ans venu décompresser avec ses amis, la pilule est dure à avaler.
"Nous, ça fait une dizaine d'année qu'on vient ici, c'est comme si c'était notre calanque !", s'insurge le jeune homme. Au courant de la mise en place des réservations, il ne savait pas "que ça prenait effet aujourd'hui".
"Le pique-nique, les pizzas, on avait tout prévu, sauf la réservation", ironise son ami, Bilal, 30 ans. Leur troisième camarade, Yohan, 30 ans également, ne cache pas son intention de contourner l'obstacle par des chemins de traverse, au risque de se faire contrôler par une brigade volante.
- "Laisser la garrigue reprendre ses droits" -
"On a fait presque une heure de trajet, donc on a envie de se baigner", assume le jeune homme: "La plage c'est un loisir, pas une contrainte", développe-t-il. "On est Marseillais, on a l'impression que c'est du flicage".
Pour d'autres, en possession du pass, ce contingentement est une aubaine. "C'est hyper agréable, c'est génial", témoigne Isabelle, Marseillaise de 50 ans qui habituellement évitait la calanque l'été: "D'abord parce qu'il fait chaud mais aussi parce qu'il y a trop de monde. On va enfin pouvoir se baigner".
Elle profite donc d'un bain de mer avec son compagnon, avec la sensation d'être seule au monde. Vers 12h30, sur les deux plages du fond de la calanque, une trentaine de personnes seulement prenaient le soleil. Très loin des 2.500 visiteurs qui certains jours d'été s'agglutinaient ici.
Loin aussi des 400 permis de visite maximum autorisés, pourtant tous réservés dès jeudi. Mais beaucoup sont en fait arrivés plus tard. A 18h00, 342 personnes disposant de permis avaient été contrôlées, a précisé le Parc.
Il y a eu un "effet dissuasif" certain, confirme en tous cas Alain Vincent, délégué à l'action territoriale du Parc national des Calanques.
En limitant à 400 personnes par jour durant la période estivale l'accès à la crique de Sugiton, "l'objectif est la régénération naturelle de cette calanque, en limiter l'érosion, permettre à la garrigue de reprendre ses droits", rappelle Nicolas Chardin, directeur du Parc national des Calanques par intérim.
"C'est très bien, ça permet de préserver un peu tout cet écosystème", juge Nicolas Ponsot, père de famille de 41 ans accompagné de ses trois enfants.
"Moi j'ai l'impression qu'on vit de plus en plus dans un monde où on nous dit où on peut aller ou pas", tempère Océane, 27 ans, arrivée très tôt dans la Calanque avant la mise en place des contrôles.
Car se lever tôt reste encore le meilleur moyen de profiter de Sugiton, à la fraîche. "On voulait réserver mais il n'y avait déjà plus de place, donc on est passé quand les gardiens dorment", s'amuse Dimitri Raffray, 39 ans.
(Y.Rousseau--LPdF)