En Autriche, le design pour conjurer la disparition des fermes
Ces lignes épurées en bois clair et en verre feraient bonne figure comme chalet pour grandes fortunes mais en Autriche, on les réserve aux biquettes, une stratégie marketing pour survivre dans un secteur en déclin.
Au cœur de la bucolique région du Vorarlberg (ouest), réputée pour son architecture et son souci de l'habitat écologique, les fermes ont remisé les sombres hangars traditionnels pour jouer la carte de la modernité.
Panneaux solaires, murs construits avec des épicéas des environs, larges fenêtres: "l'architecture est une manière de nous différencier", explique l'exploitant Ingo Metzler, 58 ans.
En jeu également, le "bien-être animal", dit-il, conscient que "l'élevage est un sujet très émotionnel dans la société": une chèvre heureuse fournira plus de petit-lait, dont il se sert ensuite pour fabriquer du fromage et des cosmétiques.
La ferme offre à sa centaine de locataires tout ce dont elles ont besoin. Par exemple, les individus dominants peuvent accéder à des enclos surélevés, "afin que les animaux ne soient pas stressés".
Depuis cette transformation, les visiteurs affluent: ils sont quelque 10.000 par an à venir arpenter les lieux.
Et l'exploitation modeste à l'origine, héritée des parents, fournit désormais de luxueux produits de beauté, se félicite M. Metzler, barbe grisonnante et casquette flanquée de son nom.
Le quinquagénaire raconte ne pas avoir eu d'autre choix que de monter en gamme pour se faire une place sur le marché face à "des conditions difficiles: terrain en pente, climat rude, petite production avec d'importants coûts fixes".
"Nous savions que nous ne gagnerions pas la guerre des prix", relève-t-il.
- Prestige -
D'où le choix risqué mais payant de s'agrandir avec panache: Ingo Metzler avait entendu dire qu'un architecte croquant d'ordinaire écoles et villas avait reconstruit la grange familiale partie en fumée.
"Il est venu me voir, le fait que j'ai grandi dans une ferme me permettant d'être au fait des contraintes spécifiques à ce type de constructions", affirme l'intéressé, Christian Lässer.
"Fromagerie, entrepôts de maturation, chambres froides... je connaissais les processus".
Et ce n'est pas un hasard si cette ferme hors du commun a vu le jour dans cette partie du monde, dont la moindre maison peut s'étaler sur les papiers glacés.
Dans le Vorarlberg, qui compte plus de 200 architectes pour environ 410.000 habitants, "il y a une tradition très ancienne de la construction en bois", narre Ingo Metzler, "avec un réseau d'artisans toujours tourné vers l'air du temps" et recherché dans le monde entier.
Il a déjà fait des émules: Christian Lässer a récemment livré un autre corps de ferme high-tech à son neveu.
"Les gens sont très heureux de nous voir à la pointe alors qu'autour de nous, on met plutôt la clé sous la porte", lance celui-ci, Stefan Lässer.
Car l'Autriche a perdu plus de 56% des 200.000 fermes qu'elle comptait lors de son adhésion à l'Union européenne en 1995 et le secteur agricole représente aujourd'hui 1,5% seulement de son PIB.
Selon le paysan, la modernité des locaux confère "un certain prestige" et fait que les gens sont peut-être "prêts à donner un euro de plus pour les produits".
D'après Christian Lässer, les étudiants en architecture commencent aussi à s'intéresser au secteur agricole, qui doit plus souvent qu'avant accueillir du public et revoir ses usages.
Ingo Metzler lui, est rassuré: là où d'autres préfèrent partir en ville, trois de ses quatre fils travaillent à ses côtés.
(H.Leroy--LPdF)