Les violences sexuelles dans toutes les têtes à la cérémonie des César
Le gratin du cinéma français a commencé à fouler vendredi le tapis rouge de l'Olympia, à Paris, avant une cérémonie des César sous haute tension, diffusée à partir de 20H45, dont les victimes de violences sexistes et sexuelles espèrent qu'elle fera date.
Beaucoup attendent des mots de Judith Godrèche, figure de proue du #MeToo français, lors de cette 49e édition.
L'actrice a libéré la parole sur le sujet, en portant plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour des violences sexuelles et physiques pendant son adolescence, que ces derniers nient.
Elle a laissé planer le doute sur sa venue.
"Tous ensemble, on peut vraiment aider à ce que les choses bougent, un monde vraiment meilleur peut s'ouvrir", a-t-elle ajouté, parmi une centaine de manifestants réunis à l'appel de la CGT, dont sa secrétaire générale Sophie Binet.
La fin du silence, "c'est important, c'est sûr, oui", a commenté Melvil Poupaud, nommé comme meilleur acteur pour "L'amour et les forêts", en entrant dans l'Olympia.
Parmi les autres personnalités attendues, la ministre de la Culture, Rachida Dati, a déploré à quelques heures de la cérémonie un "aveuglement collectif" qui "a duré des années" dans le milieu du cinéma, dans un entretien à la revue Le Film français.
"La liberté de création est totale mais ici on ne parle pas d'art, on parle de pédocriminalité" concernant Judith Godrèche, a-t-elle ajouté.
Dans la salle, le sujet a des chances d'éclipser la course aux prix entre le favori "Anatomie d'une chute" et ses concurrents, comme l'hommage à l'actrice Micheline Presle, doyenne du cinéma français, décédée mercredi à 101 ans.
Car, de la mise en examen pour viols et agressions sexuelles de Gérard Depardieu aux accusations portées par Judith Godrèche, suivies par d'autres comédiennes, dont Isild Le Besco qui envisage également de porter plainte, les violences sexuelles hantent plus que jamais le cinéma français.
L'acteur Aurélien Wiik, lui, a lancé le hashtag #MeTooGarçons sur Instagram jeudi.
- Spectre de Polanski -
La multiplication de ces accusations nourrit le soupçon que, parmi les cinéastes, acteurs et autres professionnels du 7e art qui prendront place à l'Olympia, certains ont fermé les yeux sur ce type de faits.
Les mots de la présidente de la cérémonie, l'actrice Valérie Lemercier, seront scrutés. Et la brochette de stars qui se succèderont pour animer la soirée, de Dany Boon à Jean-Pascal Zadi en passant par Juliette Binoche, Benoît Magimel ou Bérénice Béjo, sont attendus au tournant.
Censés représenter le cinéma dans sa diversité, les César ont évolué depuis la cataclysmique édition 2020 où Roman Polanski, accusé de viol, a reçu le prix du meilleur réalisateur pour "J'accuse", provoquant le départ de l'actrice Adèle Haenel.
L'institution a été renouvelée. Une règle de "non-mise en lumière" des mis en cause par la justice "pour des faits de violence" a été instituée (pas d'invitation aux événements liés aux César, pas de remise de statuette sur scène, ni de discours pour les lauréats).
- Une réalisatrice sacrée ? -
A priori, aucun des nommés n'est visé par des accusations. L'acteur Samuel Theis ("Anatomie d'une chute") fait l'objet d'une enquête après la plainte pour viol portée par un technicien alors qu'il tournait un film l'été dernier, mais il n'en fait pas partie.
"Anatomie d'une chute", Palme d'Or à Cannes et nommé cinq fois aux Oscars (le 10 mars au soir à Los Angeles, dans la nuit du 11 en France), a récolté 11 nominations. Le trophée du meilleur film pourrait se jouer entre lui et "Le règne animal", film fantastique de Thomas Cailley (12 nominations).
A 45 ans, sa réalisatrice Justine Triet marquerait l'histoire des César en devenant la deuxième femme à remporter le prix de la meilleure réalisation, un quart de siècle après Tonie Marshall ("Vénus Beauté (institut)" en 2000).
Deux autres réalisatrices (sur cinq nommés) sont en lice: Catherine Breillat ("L'été dernier") et Jeanne Herry ("Je verrai toujours vos visages").
Côté interprètes, parmi les favoris, l'actrice allemande Sandra Hüller ("Anatomie d'une chute"), Hafsia Herzi ("Le ravissement"), Romain Duris ("Le règne animal") ou la révélation de l'année Raphaël Quenard, à la fois comme meilleur espoir (pour "Chien de la casse") et comme meilleur acteur (pour "Yannick").
Des César d'honneur doivent être remis à l'actrice et réalisatrice Agnès Jaoui, qui a raconté publiquement avoir été victime de violences sexuelles dans son enfance, et au cinéaste américano-britannique Christopher Nolan ("Oppenheimer").
(V.Blanchet--LPdF)