Au tribunal, le regard noir d'Adèle Haenel posé sur Christophe Ruggia
Adèle Haenel ne l'a pas lâché de son regard noir pendant l'heure qu'a duré le résumé des faits. Et de l'autre côté de la barre, le réalisateur Christophe Ruggia s'est bien gardé de le croiser, yeux fixés sur le tribunal qui le juge pour agressions sexuelles sur mineure.
L'actrice, qui s'est aujourd'hui mise en retrait du cinéma, avait accusé en 2019 le réalisateur de l'avoir agressée sexuellement pendant deux ans et demi, alors qu'elle avait entre 12 et 14 ans et qu'il était lui presque quadragénaire.
Elle avait 11 ans au moment du casting de son film "Les Diables" et 12 à l'été 2001 pendant le tournage, "éprouvant" de l'avis des enfants acteurs et des professionnels adultes.
Aux enquêteurs, ils avaient décrit leur "malaise" face au comportement de Christophe Ruggia sur le plateau. "Envahissant", "déplacé", "sa main sur la cuisse" de la jeune actrice, "des trucs dans le cou", elle "assise sur ses genoux". "Ça va pas, on dirait un couple, c'est pas normal", s'était dit une scripte du film.
Les agressions, dénoncées par Adèle Haenel et contestées par Christophe Ruggia, ont commencé juste après. D'abord sous couvert de "promotion" du film, elle a passé une grande partie de ses samedis après-midi chez lui, quand elle était en quatrième et en troisième.
Elles se déroulaient selon elle toujours de la même façon, décrit le président: sur le canapé, il commence par lui caresser les cuisses, remonte "l'air de rien", puis lui touche le sexe ou la poitrine. "Il respirait fort" et "m'embrassait dans le cou", décrit-elle.
Sur son siège, Adèle Haenel semble revivre les faits, serrant les dents, son visage plusieurs fois secoué de tics nerveux.
"À chaque fois, il lui préparait son goûter préféré", poursuit le tribunal. "Il disait qu'il l'avait créée", qu'il "l'aimait, que les autres ne pouvaient pas comprendre, qu'il n'avait pas eu de chance de tomber amoureux d'elle, qu'elle était une adulte dans un corps d'enfant", rappelle encore le président.
- "Une sorte de réflexion ?" -
Droite comme un i, Adèle Haenel garde ses yeux emplis de rage posés sur Christophe Ruggia, assis de l'autre côté du prétoire à quelques mètres, mais qui ne se tourne jamais vers elle.
Parfois elle écrit furieusement quelques mots, avant de se redresser et de le fixer à nouveau.
"Est-ce qu'aujourd'hui vous avez la possibilité de nous livrer une sorte de réflexion ?", demande le tribunal en appelant à la barre Christophe Ruggia, 59 ans, pour un premier interrogatoire.
"J'ai pris conscience que le film a été douloureux à vivre pour Adèle, qu'elle a été choquée par le tournage et que ça a été très difficile de se revoir à l'image", dit-il, assurant cependant avoir eu le "même rapport" avec "les deux enfants" acteurs du film.
Avant cela, le tribunal avait éteint les lumières de la grande salle d'audience remplie de public pour en montrer des extraits.
"Les Diables", pas un succès commercial mais salué par la critique à l'époque souligne le tribunal, raconte la fugue perpétuelle d'un frère et de sa soeur autiste abandonnés à la naissance. Une histoire qui devient incestueuse en cours de film, avec plusieurs scènes sexuelles entre les enfants.
Au grand écran dans la salle, on voit notamment l'actrice de 12 ans sortir d'une douche et emprunter un long couloir entièrement nue. Des gros plans sur sa poitrine d'enfant alors qu'elle se caresse et effectue des mouvements de langue.
Contre son avocate venue s'asseoir à côté d'elle, Adèle Haenel est à nouveau prise de mouvements nerveux de la tête, puis détourne vivement le regard, s'essuyant les yeux d'un mouchoir. Christophe Ruggia regarde lui tous les extraits de son film.
Avant l'ouverture de l'audience, une cinquantaine de personnes, en grande majorité des femmes, s'étaient rassemblées devant le tribunal. "Merci Adèle", "Adèle, tu n'es pas seule", "la honte doit changer de camp", pouvait-on lire sur leurs pancartes.
L'actrice devrait témoigner devant le tribunal vers 18H00.
Christophe Ruggia, jugé pour agressions sexuelles aggravées par la minorité de la victime et sa position d'autorité, encourt jusqu'à 10 ans de prison et 150.000 euros d'amende.
(E.Beaufort--LPdF)