Moldavie: dans la rebelle Gagaouzie, des cours pour contrer l'influence russe
Ils vivent en Moldavie mais ils n'en parlent pas la langue officielle, le roumain.
Dans la région autonome de Gagaouzie, c'est le russe qui domine, une situation que le gouvernement pro-européen veut faire évoluer en offrant des cours gratuits.
Déjà confrontée à l'est au séparatisme de la république autoproclamée de la Transdniestrie, qui a lancé fin février un appel à la "protection" de Moscou, la Moldavie compte au sud une autre terre rebelle, la Gagaouzie.
Morcelée, elle a renoncé en 1994 à ses velléités indépendantistes en échange d'un statut d'autonomie mais sa nouvelle gouverneure ne cache pas son inclination pour Moscou.
La semaine dernière, Evguénia Goutsoul s'est rendue en Russie pour rencontrer Vladimir Poutine et solliciter à son tour son "soutien" face aux prétendues actions de "déstabilisation des autorités moldaves".
Statue de Lénine, bâtiments soviétiques, emblème de la faucille et du marteau... la Gagaouzie semble figée dans le passé, plus de 30 ans après l'indépendance du pays de 2,6 millions d'habitants, situé entre l'Ukraine et la Roumanie.
Ses 135.000 habitants orthodoxes, qui ont fui l'Empire ottoman pour s'installer dans la zone au 19e siècle, parlent gagaouze, un idiome turcique en voie d'extinction, et surtout russe, ce qui leur donne accès en priorité aux informations disséminées par le Kremlin.
- Fort intérêt -
La langue, c'est donc le nerf de la guerre pour la présidente Maia Sandu, qui a résolument tourné son pays vers l'UE, obtenant en décembre l'ouverture de négociations officielles d'adhésion.
Depuis l'été 2023, des cours non obligatoires sont proposés à des adultes par le ministère de l'Education dans tout le pays.
Dans la ville de Vulcanesti, Ivan Gaidarji, un fonctionnaire de 46 ans, veut se préparer à un avenir où les documents officiels ne seront probablement plus traduits en russe. "Nous devons étudier pour perfectionner nos connaissances et pouvoir continuer à travailler", dit-il à l'AFP.
Sa professeure, Sorina Stoianova, qui a déménagé en Gagaouzie après son mariage, constate un "intérêt accru" au fil des mois. "Ils ont envie d'apprendre la langue" mais ce n'est pas facile car à la maison, ils n'ont pas l'occasion de parler roumain.
Parmi ses élèves, elle compte aussi des mamies qui veulent "aider leurs petits-enfants à faire leurs devoirs".
Le succès est au rendez-vous: après déjà plus de 6.500 inscrits l'an passé, le gouvernement a enregistré "un nombre record de candidatures" pour l'édition 2024 de ce programme destiné aux débutants, avec 13.000 postulants pour 5.000 places. La Gagaouzie arrive en deuxième place des demandes derrière la capitale Chisinau.
- "Rhétorique anti-UE" -
"Maia Sandu fait de réels efforts pour améliorer les relations avec la Gagaouzie, conquérir les cœurs et les esprits des habitants", explique Wilder Alejandro Sanchez, spécialiste de la Moldavie au sein du cabinet de conseil américain Second Floor Strategies.
Il salue la mise en place de ces nouveaux cours, "une initiative prometteuse" qui va de pair avec "une hausse des investissements", par exemple l'inauguration d'une nouvelle route pour relier Chisinau au sud du pays.
Mais est-ce que ce sera suffisant pour détourner la région de son tropisme russe? "Il faudra sans doute des années, peut-être des décennies, pour convaincre les Gagaouzes que l'UE ne menace pas leur identité".
D'autant que la Russie agit dans l'ombre pour "nourrir la rhétorique anti-Chisinau et anti-Bruxelles", ont averti les services de renseignements moldaves dans un récent rapport sur les possibles interférences avant le scrutin présidentiel et le référendum sur l'adhésion à l'UE prévus à l'automne.
En 2014, les habitants de Gagaouzie avaient plébiscité à 98% une entrée de leur région dans l'union douanière Russie-Bélarus-Kazakhstan et dit "niet" à l'Europe, lors de deux référendums déclarés inconstitutionnels.
Dix ans ont passé et les mentalités ont évolué, veut croire Chisinau.
"Les jeunes comprennent les atouts d'une appartenance à l'UE", expliquait l'an dernier la présidente Maia Sandu, pariant également sur cette initiative linguistique inédite pour "mieux protéger la population abreuvée de propagande russe".
(A.Renaud--LPdF)