La Canadienne Alice Munro, premier Nobel de la nouvelle
Première autrice de nouvelles récompensée par le prix Nobel de littérature, la Canadienne Alice Munro avait fait le choix du texte bref pour ausculter la vie des gens dans les campagnes de l'Ontario.
La Canadienne, dont le décès à 92 ans a été annoncé mardi, est populaire dans les pays anglosaxons - elle reçut le prestigieux Prix international Man Booker en 2009 - mais s'est fait tardivement connaître à l'étranger.
Sans doute en raison de son choix pour la nouvelle, genre littéraire si prisé outre-atlantique mais boudé en Europe. En France, elle n'est publiée que vers la fin des années 80.
De 1968 à 2012, cette femme de lettres a écrit 14 recueils de nouvelles ("Les Fugitives", "Trop de bonheur", "Rien que la vie"). Malgré sa moisson de prix au Canada, elle a toujours fait preuve de discrétion, à l'image des héroïnes de ses récits villageois.
Vieilles, jeunes, endimanchées ou mal attifées, barricadées par la neige, par un père abusif ou un mari égoïste, toutes les femmes de ses récits cherchent à éviter les coups de la vie et se trouvent souvent au carrefour de choix déterminants.
La plupart de ses histoires violentes et belles se déroulent dans l'univers rural de l'Ontario (centre du Canada) où Alice Munro voit le jour le 10 juillet 1931. Rochers, lac, forêts... la neige sous toutes ses formes y est omniprésente. Elle y grandit entre un père violent, éleveur de renards et de volailles, et une mère institutrice emportée prématurément par la maladie de Parkinson.
- "Aucun autre talent" -
A peine adolescente, elle décide de devenir écrivain et ne déviera jamais de sa voie.
"Je n'ai aucun autre talent, je ne suis pas intellectuelle et me débrouille mal comme maîtresse de maison. Donc rien ne vient perturber ce que je fais", déclarait-elle.
Sa première nouvelle, "The Dimensions of a Shadow", est publiée en 1950, alors qu'elle est étudiante à l'université de Western Ontario.
C'est là qu'elle rencontre son premier mari - James Munro - qu'elle épouse en 1951 avant de s'installer à Vancouver (ouest). Le couple a quatre filles mais la deuxième meurt à la naissance. En 1963, ils déménagent non loin de là, à Victoria, et y ouvrent une librairie - Munro's Books - un magasin devenu depuis célèbre en Amérique du Nord.
"J'ai commencé à écrire des nouvelles parce que la vie ne me laissait pas le temps pour un roman", affirmait-elle avec son sens unique de la dérision.
Son premier recueil, "Dance of the Happy Shades" ("La Danse des ombres heureuses"), paraît en 1968 et lui vaut le Prix canadien du Gouverneur général. Deuil d'une mère, désamour d'un mari, jalousie d'une belle-mère, violence des enfants: ses thèmes de prédilection sont déjà là.
A partir de la fin des années 70, elle publie régulièrement dans The New Yorker: rares sont les auteurs à obtenir ces contrats préférentiels avec le magazine américain.
- "Autant de profondeur qu'un roman" -
Divorces, remariages, retour au pays compliqué: en vingt à trente pages, elle condensent des existences apparemment banales.
"Elle est notre Tchekhov et survivra à la plupart de nos contemporains", avait prédit la grande romancière et critique américaine Cynthia Ozick.
Après son divorce en 1972, elle s'installe comme "écrivaine-résidente" à l'université de Western Ontario. En 1976, elle se remarie avec Gerald Fremlin, un géographe avec qui elle vit dans sa province d'origine. Il décède en 2013.
Alice Munro apporte "autant de profondeur, de sagesse et de précision dans chaque histoire que le font la plupart des romanciers dans toute leur œuvre", avait justifié le comité du Nobel, qui lui a attribué son prix de littérature en 2013. "Lire Alice Munro c'est chaque fois apprendre quelque chose d'inédit".
Sa nouvelle "L'Ours traversa la montagne" - tirée de "Un peu, beaucoup, pas du tout", retraduit en 2019 par la Française Agnès Desarthe - est adaptée au cinéma sous le titre "Loin d'elle", avec Julie Christie en malade d'Alzheimer.
En 2013, la nouvelliste avait annoncé que "Rien que la vie" serait son dernier recueil. L'attribution du Nobel n'y avait rien changé. "J'écris et je suis publiée depuis l'âge de 20 ans (...) Cela représente une longue période de travail et j'ai pensé qu'il était peut-être temps de vivre plus tranquillement", avait-elle dit.
(H.Duplantier--LPdF)