"Je n'aime pas les tyrans": en Arizona, un responsable électoral face au mensonge
Quand le républicain Stephen Richer s'est porté candidat pour organiser les élections dans le plus grand comté de l'Arizona (sud-ouest), il ne s'attendait pas à être menacé de mort pour le simple fait de réfuter des mensonges.
"Trois personnes ont été arrêtées pour des choses qu'elles m'ont dites", confie-t-il à l'AFP dans le centre électoral ultra sécurisé du comté de Maricopa à Phoenix. "On a eu la police devant chez nous. Des gens vous crient à la figure, vous crachent dessus".
A l'approche de l'élection présidentielle de novembre, il se prépare à affronter à nouveau harcèlement et désinformation.
Il a même porté plainte contre Kari Lake, candidate au Sénat américain qui répète à l'envi qu'il a mal géré la course au gouvernorat qu'elle a perdue en 2022.
"Je n'aime pas les tyrans. Je n'ai pas à me laisser piétiner", confie Stephen Richer, exaspéré.
L'Arizona est l'un de ces Etats dit pivots car susceptibles de changer de camp à chaque scrutin, une terre fertile pour les théories conspirationnistes sur de prétendues fraudes électorales généralisées, dont l'AFP a établi qu'il s'agissait pour beaucoup de contre-vérités.
Depuis qu'il a pris ses fonctions d'organisateur des élections en 2021, M. Richer est sorti de l'anonymat du fonctionnaire local grâce aux réseaux sociaux et à ses apparitions devant la presse, combattant pied à pied les affirmations infondées remettant en cause la victoire de Joe Biden contre Donald Trump en 2020 dans cet Etat historiquement conservateur.
L'élu de 39 ans, chargé de l'enregistrement des électeurs et des votes anticipés, raconte être "un conservateur né". Avant ses fonctions actuelles, il travaillait pour des organisations de droite, comme l'American Enterprise Institute et la Federalist Society.
- "Fond de la salle" -
Mais son rejet catégorique des mensonges électoraux a fait de lui un ennemi aux yeux de conservateurs comme Donald Trump ou Kari Lake, qui ne cessent de crier à la fraude et ont fait pression sur les autorités de l'Etat pour inverser les résultats des élections.
"Je suis au premier rang pour ce débat très important. Il y a des jours où j'aimerais être au fond de la salle", lâche-t-il.
Kari Lake, ancienne présentatrice de télévision, a multiplié les recours en justice après avoir perdu en 2022 le scrutin pour devenir gouverneure. Tous ont fait long feu.
M. Richer a quant à lui porté plainte pour diffamation contre Mme Lake, lorsqu'elle a prétendu que lui-même et le comité de contrôle du comté de Maricopa, chargé de superviser les scrutins le jour de l'élection, avaient bourré les urnes à hauteur de 300.000 faux bulletins.
En mars, elle a finalement refusé de défendre cette position, concédant de facto une victoire judiciaire au responsable électoral.
M. Richer explique s'être inspiré en partie des actions en diffamation intentées après la présidentielle de 2020, dont celle qui s'est soldée par le versement par Fox News de quelque 800 millions de dollars au fabricant de machines de vote électronique Dominion Voting Systems.
- "Incendie" -
En 2020, Joe Biden a emporté l'Arizona de quelque 10.000 voix. Moults recomptages ont confirmé cette victoire, y compris par une commission républicaine qui a enquêté sur les résultats du comté de Maricopa, où plus de 2,4 millions d'électeurs sont enregistrés.
Stephen Richer a alors été confronté à la théorie la plus folle qu'il ait eu à connaître: "Il y a eu un incendie dans la ferme d'un des contrôleurs (du scrutin). On a été accusés d'avoir réduit des bulletins en lambeaux, d'avoir nourri les poules avec et d'avoir incinéré 80.000 volailles".
Cette théorie a essaimé malgré tous les efforts des fact-checkeurs. Un habitant de l'Iowa a été condamné pour avoir menacé de mort le contrôleur en question.
M. Richer reçoit toujours des menaces, son épouse aussi. Dans une vidéo qui a fuité, un responsable républicain local a dit qu'il le "lyncherait".
Stephen Richer ne pourra pas être réélu à son poste cet automne, lui qui souhaitait prolonger. Il a été battu cet été lors de la primaire républicaine par un candidat qui a déjà fait part de ses doutes sur l'intégrité des élections.
(C.Fontaine--LPdF)