En Ukraine, la maquette en bois reprend vie
Copeaux jonchant le sol et bonne odeur de bois: après plus de trois mois d'arrêt forcé, l'activité a repris grâce à des dons dans une usine bombardée du nord de Kiev qui fabrique des puzzles 3D en bois.
"Quand l'électricité a été rétablie et que le bruit des machines est revenu, on était fous de joie", lance le jeune ingénieur en chef Robert Milaïev.
Située au beau milieu des ruines dans le village de Gorenka, l'entreprise Ugears porte encore les stigmates du passage des Russes après l'invasion de l'Ukraine fin février: les fenêtres brisées sont en train d'être changées.
Le 18 mai, à la suite du retrait des troupes russes, les employés ont de nouveau enfilé leurs blouses et, depuis, la production tourne à plein régime pour sortir des maquettes à assembler coupées au laser dans du bouleau, de l'aulne et du peuplier.
"Avant la guerre, le bois venait du Bélarus mais désormais on l'achète principalement en Ukraine", détaille tout sourire le PDG Oleksiï Lyssiany.
Il n'a licencié personne alors que, selon l'Organisation internationale du Travail, près de cinq millions d'emplois ont été perdus dans le pays depuis le début de l'invasion le 24 février.
Au contraire, un fonds de charité lancé pour l'Ukraine a déjà recueilli 800.000 euros et permet d'avancer.
Si aucun salarié n'a heureusement été blessé ou tué dans cette localité dévastée par les missiles quand Moscou tentait encore d'avancer vers la capitale Kiev, un centre de stockage rempli de boîtes de jeu a été perdu.
Désormais, à chaque achat sur le site internet, l'entreprise fondée en 2014 verse cinq euros pour l'effort de guerre et de nombreux clients fidèles, dans 85 pays sur les cinq continents, ont effectué des dons.
"Quand on dit qu'on livre en Chine, les gens sont surpris parce qu'en général, c'est plutôt nous qui achetons à ce pays", sourit M. Lyssiany.
Flottant sur les toits, affiché sur les murs, le drapeau national est omniprésent et Iryna Denyssiouk, 33 ans, responsable de la chaîne d'emballage, se dit "très fière de participer à cette production ukrainienne en temps de guerre".
- Rien ne se perd -
Ici, le patriotisme prend un tournant ludique: il s'agit d'occuper la population avec une centaine de types de casse-têtes à assembler.
Des jouets pour grands, en fait: ils sont destinés aux plus de quatorze ans.
"Toutefois je les teste moi-même avec mes enfants et cela permet de passer du temps en famille, alors que de nombreux jeunes sont collés au portable", énonce le PDG sous le bruit des marteaux qui achèvent de sécuriser le site en briques.
Avant la guerre, plus de 100.000 modèles sortaient des chaînes de productions tous les mois.
"Il faut dix minutes pour venir à bout des plus simples mais au moins douze heures pour construire la locomotive comptant 450 pièces", explique Oleksiï Lyssiany.
D'autant que de nombreux kits sont dotés d'un système mécanique pour avancer et qu'aucune colle n'est utilisée.
Les boîtes ont un design très moderne à l'image de la conception complexe sur ordinateur, qui tranche avec la tradition du jouet en bois fait à la main, encore très vivante en Ukraine.
Economie de crise oblige, rien ne se perd: les déchets liés à la production sont cédés à une entreprise qui s'en sert comme combustible et les plaques découpées au laser sont entièrement composées de matériaux naturels.
Elles sont minutieusement vérifiées pour ne jamais décevoir les clients, qui sont souvent des habitués consacrant leur temps libre aux maquettes.
Ils réclament toujours des nouveautés et Robert Mylaïev a déjà en tête plusieurs nouveaux modèles. De quoi offrir de l'évasion en ces temps difficiles.
(C.Fontaine--LPdF)