En Amérique centrale, la presse dans le collimateur du pouvoir
Des journalistes nicaraguayens obligés de fuir en exil, le patron d'un quotidien au Guatemala arrêté et en détention provisoire, un site internet d'informations au Salvador accusé de blanchiment d'argent. Ces médias d'Amérique centrale ont tous ont un point commun: être des critiques du pouvoir en place.
Le siège du journal La Prensa, vieux de près d'un siècle et doyen des quotidiens du Nicaragua, est investi par la police depuis un an et va être transformé en "centre culturel" par le gouvernement du président Daniel Ortega et de sa femme Rosario Murillo.
Son directeur Juan Lorenzo Holmann, est en prison depuis août 2021 et a été condamné à neuf ans de prison, pour blanchiment d'argent.
Le même délit est reproché au Guatemala au président-fondateur du journal El Periodico, José Ruben Zamora, un critique du président Alejandro Giammattei. Le journaliste est en prison provisoire depuis un mois.
"Le blanchiment d'argent est l'accusation à la mode en Amérique centrale" contre les journalistes critiques, constate Carlos Dada, directeur du site d'informations El Faro au Salvador. Lui-même est visé après qu'El Faro a dénoncé des négociations secrètes du gouvernement du président Nayib Bukele avec les bandes criminelles, auxquelles il a ensuite déclaré "la guerre".
"La concentration de pouvoir entre les mains de régimes autoritaires parvient de plus en plus à réduire au silence ceux qui les critiquent et la presse indépendante (...). Le harcèlement se fait de plus en plus pressant", déplore Carlos Dada auprès de l'AFP.
Au Nicaragua et au Salvador, le pouvoir assure que les médias qui se trouvent dans son collimateur sont financés depuis l'étranger avec pour but de déstabiliser le pays.
- "Etrangler la presse indépendante" -
"La stratégie d'étrangler la presse indépendante, imposée il y a des décennies à Cuba, importée ensuite au Venezuela et dans d'autres pays de la région a été encore perfectionnée par le régime" du président Ortega, a regretté Carlos Jornet, de la Société Interaméricaine de presse (SIP).
Et aucun pays ne semble épargné, pas même le Costa Rica, la plus ancienne et solide démocratie d'Amérique centrale: son nouveau président Rodrigo Chaves s'en est pris violemment aux médias qui ont fait état des sanctions pour harcèlement sexuel qui lui avaient été imposées par la Banque Mondiale, dont il était un haut fonctionnaire, et des présomptions d'irrégularités de financement de sa campagne électorale.
"Parler de la presse, c'est comme parler de la jungle: il y a des rhinocéros, des ratons laveurs et des rats", s'est emporté le président costaricien.
Oscar Navarrete, un photographe de La Prensa, a couvert en juillet l'expulsion du Nicaragua des religieux de l'ordre des Missionnaires de la charité, fondé par Mère Teresa de Calcutta.
Informé qu'il allait être arrêté, il s'est caché tandis que son domicile était perquisitionné: "Ils ont pris tout mon matériel", se souvient-il. Il vit désormais en exil au Costa Rica, où s'est réfugiée toute la rédaction du journal, comme une centaine de journalistes.
- "Tuer le journal" -
Au Guatemala, la procureure générale Consuelo Porras --proche du président Giammattei-- qui a engagé les poursuites contre le patron d'El Periodico a été mise par Washington sur une liste de responsables corrompus.
"Le but c'est de tuer le journal" pour ses critiques et ses enquêtes sur la corruption, dénonce Lucy Chay, sous-directrice du quotidien.
"Les efforts pour harceler les journalistes (guatémaltèques) qui enquêtent sur la corruption, les violations des droits de l'homme et les abus de pouvoir semblent s'intensifier", déplore auprès de l'AFP Juan Pappier, de Human Rights Watch (HRW).
Ces attaques interviennent après des "procès pénaux illégitimes" contre des juges et des procureurs qui enquêtaient sur la corruption au Guatemala, souligne-t-il.
Au Salvador, El Faro encourt les foudres d'une loi qui punit de quinze ans de prison tous ceux qui relaient des messages de bandes criminelles... pour avoir publié des témoignages de malfaiteurs faisant état des négociations avec le gouvernement du président Bukele.
Le téléphone portable du directeur d'El Faro ainsi que ceux d'une vingtaine de journalistes du site d'informations ont été infectés par un logiciel espion vendu seulement à des organismes étatiques, rappelle Carlos Dada. Le gouvernement salvadorien a nié toute responsabilité.
En Amérique centrale, les journalistes risquent même la mort: au Honduras, 97 journalistes ou collaborateurs de presse ont été assassinés depuis 2001, selon le Comité pour la liberté d'expression du Honduras.
Les thèmes les plus dangereux à traiter sont le trafic de drogue et l'activité minière, selon Amada Ponce, directrice du Comité.
La majorité de ces assassinats restent impunis.
(V.Castillon--LPdF)