A Colmar, les pinceaux géants de Fabienne Verdier transfigurent "le chant des étoiles"
Se délester des dogmes religieux et artistiques tout en conservant "l'essence spirituelle" de la peinture: l'artiste Fabienne Verdier montre "le chant des étoiles", un dialogue fin entre son travail et les collections permanentes du musée Unterlinden de Colmar.
La peintre, connue pour ses traits au pinceau noir, crée aussi pour cette exposition "Rainbows" un jaillissement d'empreintes de couleur, dans une chapelle ardente conçue en hommage aux "âmes disparues".
"La pandémie a totalement transformé mon regard sur la peinture", explique l'artiste âgée de 60 ans, à propos de ce projet initié en janvier 2019, après sa rencontre avec la commissaire Frédérique Goerig-Hergott, et mûri pendant les confinements successifs.
D'abord inspirée par "la science des écoulements", tels que représentés dans les plaies sanglantes du Christ, c'est finalement le "flux de la vie" qui l'a emporté dans la tension créatrice, à une période marquée par une forte mortalité.
"Contre le dolorisme foudroyant (des représentations) de la mort, néfaste pour notre santé mentale", Fabienne Verdier tente d'inventer "un chemin vers une transfiguration".
Tout est ainsi souffle et élévation dans l'Ackerhof, une nef immaculée et surélevée dédiée aux expositions temporaires, décorée de toutes les couleurs du spectre de la lumière sur 76 tableaux rectangulaires occupant deux murs latéraux qui se font face.
- Volutes ascensionnels -
Chacun des cadres à la fausse allure psyché porte un nom, reflet de la diversité du monde et résultat d'un travail de recherche mené en partenariat avec des linguistes sur les cinq continents.
Au fond, les traits tourbillonnants du Grand Vortex d'Unterlinden dominent la halle. L'œuvre a été peinte d'une plateforme surélevée au moyen d'un pinceau géant chargé de peinture blanche, les assistants de Verdier faisant défiler la toiles sous son geste.
Ses volutes ascensionnels sont un écho au joyau d'Unterlinden, le monumental Retable d'Issenheim évoquant la vie du Christ et sa scène de Résurrection. L'œuvre, peinte et sculptée au XVIe siècle par deux grands maîtres allemands, Matthias Grünewald et Nicolas de Haguenau, est exposée quelques salles plus bas.
"Les Chinois m'ont enseigné l'énergie universelle contenue dans un trait et sa mutation perpétuelle qui crée les formes du monde. C'est ce qu'on voit ici, avec ces forces tourbillonnaires, des corps qui se dissolvent dans leur atome de matière", analyse Fabienne Verdier, dont le récit difficile de l'apprentissage de la calligraphie dans la Chine intérieure des années 1980 ("Passagère du silence"), la fit connaître du public.
Des œuvres plus anciennes de l'artiste dialoguent aussi avec le fonds du musée colmarien, installé dans un ancien couvent. Au fil des collections et des époques, les traits de Fabienne Verdier se confrontent avec les maîtres de l'abstraction ou de la figuration tels l'Allemand Lucas Cranach l'Ancien, le théoricien de "l'art brut" Jean Dubuffet ou encore Agnès Thurnauer.
Un cabinet d'art graphique permet aussi de voir les planches d'émouvants carnets d'atelier de l'artiste, installée à Hédouville (Val-d'Oise), avec ses annotations au feutre, conversation ininterrompue avec l'état de l'art et questionnement sur les lois de la nature et de l'existence.
"Le chant des étoiles", du 1er octobre 2022 au 27 mars 2023 au musée Unterlinden de Colmar.
Une conférence autour du "chant des étoiles" est prévue le dimanche 23 octobre, avec l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan, auteur d'un Dictionnaire amoureux du ciel et des étoiles.
(H.Leroy--LPdF)