La lutte contre le trafic d’espèces sauvages passe par les sites de commerce en ligne
"Plus grand marché du monde", ouvert 24h/24 et sept jours sur sept, internet est devenu le lieu de prédilection d'un trafic mondial illimité d'espèces sauvages, les experts réclamant un encadrement accru des plateformes de commerce en ligne.
C'est ce que plaident notamment l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et des organisations non gouvernementales à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites) qui se tient au Panama depuis le 14 novembre et doit se terminer vendredi.
A l'issue de ce rendez-vous, crucial pour la protection de la biodiversité, le commerce de plusieurs espèces supplémentaires devrait être interdit ou fortement restreint. Selon Interpol, le trafic d'espèces sauvages augmente de 5 à 7% par an.
Mais il faut "aller plus loin" en contraignant "les plateformes à retirer leurs contenus" et en "imposant des pénalités élevées", préconise Lionel Hachemin, directeur de projets au sein du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), joint par l'AFP.
Entre 2016 et 2021, il a suivi en France les petites annonces d'espèces animales illégales, publiées sur des sites grand public de e-commerce mais aussi via des groupes privés sur des réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp ou Signal. Résultat: plus de 1.800 annonces ont été comptabilisées, proposant à la vente des félins tachetés, des tortues d'Hermann ou encore des aras colorés.
IFAW a créé, avec WWF et Traffic, la Coalition contre le trafic d'espèces sauvages en ligne qui vise à aider les entreprises du e-commerce à "élaborer une politique qui protège ses utilisateurs et ses activités commerciales, tout en entravant le trafic d'espèces sauvages".
Dans ce but, l'ONG a aidé le site français de petites annonces Leboncoin à renforcer sa réglementation en interdisant la vente d'objets en ivoire et de perroquets gris du Gabon.
- La France, une plaque-tournante -
Perroquets gris du Gabon, grenouilles taureaux, boas, mais aussi ivoire, écailles de pangolin et viande de brousse: chaque année, des dizaines de milliers de kilos d'espèces sauvages entrent et ressortent de France illégalement, alimentant un trafic mondial estimé par Interpol à plusieurs milliards de dollars par an.
La France, avec ses 12 territoires ultra-marins présents dans cinq "hotspots" de la biodiversité, est un pivot du trafic d'espèces sauvages. Considéré comme "la troisième activité de criminalité transnationale organisée la plus lucrative au monde", selon la Plateforme intergouvernementale scientifique sur la biodiversité (IPBES), ce trafic contribue à la disparition d'espèces sauvages.
Rien qu'en 2021, "36 tonnes de produits illégaux issus d'espèces sauvages ont été saisies dans le Terminal 2 de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle", où arrivent les vols d'Afrique, selon l'UICN, dont une dizaine de tonnes de viande de brousse (pangolin, primates, chauves-souris, agoutis…).
Mais l'Hexagone est également un pays "source". L'explosion du braconnage de la civelle, l'alevin de l'anguille, interdite d'exportation hors de l'UE depuis 2009, en est un bon exemple. Pêché sur la façade atlantique, ce poisson migrateur menacé d'extinction est ensuite exporté vers l'Asie, en Chine et en Thaïlande principalement.
En 2021, un réseau de trafiquants, suspecté d'avoir exporté plus de 46 tonnes de civelles et blanchi au passage 18,5 millions d'euros, a été démantelé en France.
La chardonneret élégant, prisé pour son chant mélodieux et dont la population française a chuté de 50% en vingt ans, fait lui aussi l'objet d'un trafic qui l'emmène aussi bien au Maghreb qu'en Belgique.
La lutte contre le trafic d'animaux sauvages se renforce en France notamment avec la "loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale" qui prohibe l'expédition par voie postale d'animaux vertébrés et interdit la vente en ligne d'animaux par des non-professionnels.
Néanmoins, ce combat fait face à deux obstacles majeurs: d'une part, le manque de moyens alloués aux organismes de lutte et d'autre part, la formation lacunaire des magistrats.
"Il faudrait que les magistrats disposent de moyens suffisants pour remonter des trafics transfrontaliers souvent très puissants et qu'ils puissent s'appuyer sur des assistants spécialisés qui apportent leur expertise sur les espèces saisies", recommande Sébastien Mabile, avocat et vice-président du comité français de l'UICN.
(M.LaRue--LPdF)