Chine: comment Xi Jinping a dû faire volte-face sur le Covid
Il y a quelques semaines encore, le "zéro Covid" était la norme en Chine. Mais des manifestations d'une ampleur inédite et une économie asphyxiée par les restrictions sanitaires ont forcé le président Xi Jinping à faire volte-face.
Le dirigeant en avait pourtant fait sa marque de fabrique, assurant qu'en faisant ainsi, Pékin avait privilégié "la population et les vies humaines".
Mais le ton a changé de façon spectaculaire mercredi, quand les autorités sanitaires ont annoncé un assouplissement général des restrictions anti-Covid, pour "être en phase avec les temps qui changent".
Des temps qui changent, mais aussi une population qui a perdu patience: fin novembre, le pays a été secoué par une vague de manifestations de colère contre les mesures sanitaires, certains exigeant même le départ de Xi Jinping.
Ces rassemblements "ont probablement inquiété les dirigeants et les ont conduits à la conclusion que le mécontentement augmentait dangereusement", estime Jane Duckett, directrice du Centre écossais de recherche sur la Chine à l'université de Glasgow.
L'allègement des restrictions qui a suivi est donc la réponse "à une situation changeante qui commençait à ressembler à un défi à l'autorité de Xi et du (Parti communiste), c'est pourquoi la réponse est aussi rapide et forte", dit aussi Steve Tsang, directeur de l'Institut de Chine SOAS à l'Université de Londres.
Pour les autorités chinoises, hors de question de perdre la face.
"Le parti (communiste au pouvoir, ndlr) cherche maintenant à s'approprier ce changement de l'opinion publique, et ainsi à renforcer sa légitimité aux yeux de la population", explique à l'AFP Dan Macklin, analyste politique basé à Shanghai.
"En résumé, il veut être vu comme étant à l'origine de la nouvelle direction, plutôt que réagissant à la vague de mécontentement".
Conséquence: malgré des chiffres de contaminations en hausse, la consigne désormais, pour les autorités, est d'afficher un discours rassurant sur le virus.
- Réveil brutal -
Un autre facteur important, dans ce revirement, est la mauvaise santé économique de la Chine.
La croissance et un certain niveau de vie pour les habitants constituaient deux piliers du "rêve chinois" vanté par Xi Jinping.
Mais alors que le pays s'achemine cette année vers sa plus faible croissance en quatre décennies, le réveil se révèle brutal.
Mercredi, de nouveaux chiffres alarmants ont été publiés, montrant un commerce extérieur au plus bas depuis début 2020.
"Les effets économiques des politiques en vigueur jusque-là sont devenus de plus en plus visibles", observe Bert Hofman, de l'Université nationale de Singapour.
Cette débâcle économique - plus que les manifestations - se trouve être le principal facteur qui a poussé la Chine à amorcer sa sortie du "zéro Covid", estime Allen Wu, professeur à l'école de médecine de l'université de Nankin, et ancien conseiller pour l'OMS.
"Traditionnellement, le gouvernement chinois est toujours très prudent... il a tendance à être lent dans la prise de décisions ou le changement de politique", rappelle-t-il.
Les autorités ont aussi vu avec soulagement que la hausse des cas depuis quatre mois n'a pas entraîné de pic d'hospitalisations.
"Je pense que cela a donné au gouvernement, mais aussi aux habitants, la confiance dans la capacité (de la Chine) à affronter le virus", estime M. Wu.
- "Opportun politiquement" -
Mais changer de politique du jour au lendemain n'est pas sans danger.
"Il y a certainement un risque pour le parti que la population voie cela comme une capitulation face à la pression publique, ce qui pourrait encourager la population à manifester plus à l'avenir", juge Dan Macklin.
"Cependant, je pense que le gouvernement cherche sincèrement à répondre au changement de l'opinion publique, et beaucoup vont en être reconnaissants".
Pour M. Tsang, tout dépendra si le système de santé chinois est débordé ou non par la hausse prévisible des cas.
"Si cela arrive, cela aura un impact négatif majeur sur la réputation de Xi et du parti".
Le moment choisi est "opportun politiquement", note Leong Hoe Nam, un expert en maladies infectieuses basé à Singapour, même si l'hiver n'est pas forcément la meilleure saison pour alléger les restrictions sanitaires.
"Je n'ouvrirais pas le pays maintenant. Il est clair que nous choisissons le pire moment" du point de vue sanitaire, affirme-t-il.
Les autorités "ont probablement calculé qu'ils pouvaient gérer ce changement, maîtriser le discours (autour du virus) et aussi contrôler le nombre de décès signalés", souligne Jane Duckett.
"Mais cela reste un moment risqué pour le régime".
(C.Fournier--LPdF)