Le Pays De France - Affaire UBS: Nicolas Forissier, le "chemin de croix" d'un lanceur d'alerte

Paris -
Affaire UBS: Nicolas Forissier, le "chemin de croix" d'un lanceur d'alerte
Affaire UBS: Nicolas Forissier, le "chemin de croix" d'un lanceur d'alerte / Photo: © AFP

Affaire UBS: Nicolas Forissier, le "chemin de croix" d'un lanceur d'alerte

Treize ans après son licenciement, l'ancien responsable de l'audit interne d'UBS France, Nicolas Forissier, raconte dans un livre son "chemin de croix" de lanceur d'alerte, un rôle devenu selon lui un "enjeu démocratique" majeur.

Taille du texte:

La banque suisse s'est vu infliger une amende record de 3,7 milliards d'euros en 2019 pour avoir démarché, entre 2004 et 2012, des contribuables français afin qu'ils placent leur fortune à l'abri du fisc en Suisse.

En appel, l'entreprise a été condamnée à une sanction totale de 1,8 milliard d'euros: la maison-mère a formé un pourvoi en cassation, mais pas la filiale française pour qui la peine est définitive.

Lors des deux procès, un nom a régulièrement été cité: celui de Nicolas Forissier. Absent des audiences, l'ex-auditeur interne a publié en mai "L'ennemi intérieur" (Fayard), écrit avec le journaliste Raphaël Ruffier-Fossoul.

Pas de "désir de vengeance" mais un "rééquilibrage psychologique" et une volonté de "rétablir la vérité", aussi pour "l'honneur" de sa famille, assure à l'AFP cet homme discret de 53 ans, fine barbe et lunettes sans monture.

"Je ne me suis pas levé un matin en me disant: je vais devenir lanceur d'alerte ! Mais on me reconnaît ce statut. Maintenant, je n'en retire aucune gloire. Tout a été fait pour nous museler", assure-t-il.

- "Article 40" -

Nicolas Forissier est embauché en 2001 chez UBS. A l'époque, "je rentre dans le sacro-saint de la gestion privée. Je sais que ce n'est pas tout rose, mais je suis super fier", raconte-t-il.

Au fil de ses audits, il découvre peu à peu des documents jusqu'à tomber sur les fameux "carnets du lait"; une comptabilité parallèle permettant de masquer les flux transfrontaliers.

Il décide de tirer la sonnette d'alarme, d'abord en interne.

"Je n'avais pas le choix, de par la loi", en tant qu'auditeur, explique-t-il. "Quand j'ai les faits, les preuves, que je vais mettre beaucoup de temps à trouver, je ne me dédie pas. J'y vais, c'est une évidence".

Ce "fils d'un militaire et d'une prof" qui ont "consacré toute leur vie à la fonction publique" compare sa situation d'alors à un "article 40" - l'obligation pour un fonctionnaire de signaler un délit à la justice.

En 2009, Nicolas Forissier est licencié pour "faute grave". L'autorité de contrôle prudentiel saisira finalement la justice en 2011 après une lettre anonyme de onze salariés, qu'il rédige.

"Sans la presse, il n'y a pas d'affaire UBS", estime-t-il aussi, citant notamment Antoine Peillon, auteur de la première enquête sur le sujet.

- "Puissance" -

Dans son livre, Nicolas Forissier raconte ses relations de l'époque avec les services de renseignement, sur l'affaire UBS mais aussi concernant des comptes suspects qu'il a fermés pour d'autres raisons.

Il décrit aussi, après son alerte, les "nuits sans sommeil", deux procès en diffamation finalement abandonnés, les frais d'avocats qui s'accumulent, des menaces anonymes. Avec un impact lourd sur sa santé, lui qui souffre d'une maladie auto-immune "fortement réactive au stress".

Pourtant, "notre société a besoin de plus de lanceurs d'alerte. C'est à mes yeux le plus grand enjeu démocratique du moment: contre la corruption, la fraude, les atteintes à l'environnement, la puissance des lanceurs d'alerte peut être colossale", écrit-il.

Sollicité par l'AFP, l'avocat d'UBS France n'a pas répondu.

Cofondateur d'un collectif baptisé "MetaMorphosis", M. Forissier a participé aux débats sur la loi Sapin II de 2016, créant un statut de lanceur d'alerte, et salue le récent renforcement de la législation.

"Les éléments-clé sont l'anonymat, l'accompagnement financier et surtout, le fait qu'on ne puisse être licencié", dit-il, regrettant cependant la loi sur le "secret des affaires".

Depuis 2010, il est contrôleur dans un établissement financier dont il préfère taire le nom. Un emploi qu'il ne "doit qu'à un homme qui (lui) a tendu la main", un ex-salarié d'UBS.

En mars, UBS France a été renvoyée devant le tribunal pour harcèlement moral sur lui et sur une autre lanceuse d'alerte, Stéphanie Gibaud, mais aussi pour entrave au fonctionnement du CHSCT et subornation de témoin.

La banque a formé un pourvoi en cassation.

Pour Nicolas Forissier, c'est la "reconnaissance d'un acharnement" en interne après son alerte.

En 2012, son licenciement a été annulé aux prud'hommes: l'appel doit être examiné à l'issue de toutes les procédures pénales.

(M.LaRue--LPdF)