Avec l'usine islandaise Mammoth, le captage de CO2 dans l'air passe la seconde
Grâce à 72 conteneurs de ventilateurs, Mammoth compte capter dans l'air 36.000 tonnes de CO2 par an avant de les enfouir sous terre.
Avec le lancement de cette usine en Islande, la plus grande au monde en la matière, la start-up suisse Climeworks veut prouver que cette technologie a sa place pour lutter contre le réchauffement climatique.
Construire une usine sur un volcan dormant et à 50 kilomètres d'un autre en éruption semble contre-intuitif, pourtant cette vallée de lave solidifiée est idéale: la centrale géothermique de Hellisheidi, près de Reykjavik, alimente les ventilateurs de Mammoth et de sa petite sœur voisine, Orca.
Elle permet aussi de chauffer les filtres chimiques à l'intérieur pour en extraire le CO2 grâce à de la vapeur d'eau.
Ce gaz, principal responsable du réchauffement climatique, est ensuite séparé de la vapeur et compressé dans un hangar où se croisent d'immenses tuyaux.
Il est enfin dissous dans de l'eau, pompée dans le sous-sol et réutilisée au maximum, grâce à une "sorte de machine à soda géante", sourit Bergur Sigfusson, responsable de la société Carbfix qui a développé ce procédé.
Un puits, percé sous un petit dôme futuriste, permet d'injecter à 700 mètres de profondeur cette eau qui, au contact du basalte volcanique constituant environ 90% du sous-sol islandais, va réagir avec le magnésium, le calcium et le fer contenus dans la roche pour créer des cristaux, véritables réservoirs solides de CO2.
Pour atteindre la "neutralité carbone" d'ici 2050, "il faudra retirer 6 à 16 milliards de tonnes de CO2 de l'air par an, dont une grande partie grâce à des solutions technologiques", a déclaré mercredi Jan Wurzbacher, cofondateur et codirigeant de Climeworks à l'inauguration des 12 premiers conteneurs-ventilateurs de Mammoth.
"Pas nous seuls, d'autres entreprises doivent participer", a-t-il ajouté, fixant à sa start-up de 520 employés l'objectif de dépasser les millions de tonnes en 2030 et d'approcher le milliard en 2050.
- Du kilo à la gigatonne -
Après l'ouverture d'Orca en septembre 2021, Climeworks compte passer de 4.000 à 40.000 tonnes de CO2 captées par an courant 2025 quand Mammoth atteindra sa pleine capacité, même si cela ne représente toujours que quelques secondes des émissions mondiales actuelles.
Pour le Giec, les experts climat mandatés par l'ONU, les techniques d'élimination du CO2 seront nécessaires pour respecter l'accord de Paris, mais la priorité reste d'abord de réduire massivement les émissions.
Le rôle du captage direct dans l'air avec stockage (DACCS) reste mineur dans les différents scénarios tant son coût est élevé et son déploiement à grande échelle dépendant de la disponibilité d'énergie renouvelable.
Climeworks est pionnier avec les deux premières usines au monde à avoir dépassé le stade de pilote pour un coût d'environ 1.000 dollars par tonne captée, que Jan Wurzbacher espère réduire à 300 dollars en 2030.
Une vingtaine de nouvelles infrastructures, développées par différents acteurs et alliant captage direct et stockage, devraient être opérationnelles d'ici 2030 dans le monde avec une capacité d'une dizaine de millions de tonnes, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
"Il nous faudra 10 milliards de dollars sur la prochaine décennie pour nous déployer" aux États-Unis, au Canada, en Norvège, à Oman mais aussi au Kenya, affirme à l'AFP Christoph Gebald, fondateur et codirigeant de Climeworks, soit 10 fois ce que l'entreprise a déjà levé.
- Crédits carbone -
"Notre première usine Orca a presque l'air d'une construction en Lego par rapport à Mammoth", plaisante à moitié Jan Wurzbacher, puisque Lego a acheté des crédits carbone générés par Climeworks pour chaque tonne de CO2 stockée.
Un moyen pour faire connaître ces solutions au grand public, selon Christoph Gebald, qui n'exclut pas de vendre aussi ces crédits à des "gros pollueurs".
Les détracteurs de la technologie souligne le risque de leur donner ainsi un "permis de polluer" ou de détourner des milliards qui seraient mieux investis dans des technologies à portée de main (renouvelables, électrification des transports, isolation des logements...).
Climeworks assure viser les émissions "incompressibles" après réduction.
La recette est complexe: optimisation des coûts sans entrer en compétition avec les besoins croissants en énergie renouvelable, plus d'innovation, de financements privés et publics, avec des infrastructures de stockage qui suivent.
"Nous testons l'injection en dissolvant le CO2 dans de l'eau de mer", explique à l'AFP Sandra Osk Snaebjörnsdottir, responsable scientifique de Carbfix.
Ce procédé permettra d'utiliser l'eau de mer pour la minéralisation à proximité d'un port construit par l'entreprise islandaise pour accueillir le CO2 d'autres pays, avec la Suisse comme cobaye.
(O.Agard--LPdF)