Au Cap, un chantier "phare" éclaire la filière naissante du chanvre sud-africain
Douze étages, une vue imprenable sur la montagne de la Table et une empreinte écologique minime: dans le centre du Cap s'élèvera bientôt le plus haut immeuble au monde construit à base de chanvre industriel.
Les ouvriers apportent les dernières touches à ce futur "Hemp Hotel", hôtel de chanvre qui comptera 54 chambres et devrait être terminé en juin.
Si le bâtiment repose sur une structure classique en béton et ciment, les murs à la finition boisée sont tous fabriqués à partir de blocs de "béton de chanvre". Un matériau aux multiples propriétés d'isolation et de résistance au feu, utilisé notamment en Europe dans la rénovation thermique des bâtiments, mais surtout, à l'empreinte carbone négative.
"La plante de chanvre absorbe énormément de dioxyde de carbone, qui est ensuite séquestré dans un bloc et stocké dans un bâtiment pour une cinquantaine d'années", explique Boshoff Muller, le directeur d'Afrimat Hemp, filiale du groupe de construction sud-africain Afrimat, qui a produit les briques de l’hôtel.
En conséquent, le béton de chanvre "séquestre plus de CO2 qu'il n'en produit".
Dans une usine en banlieue du Cap, Boshoff Muller examine des blocs de chanvre, d'eau et de chaux fraîchement pressés. "On a ici, presque littéralement, un sac entier de carbone!", s’exclame-t-il en tapotant un sac de paillis récemment arrivé du nord du pays.
Le chanvre industriel utilisé pour le "Hemp Hotel" a dû être importé du Royaume-Uni: la législation sud-africaine interdisait alors la production locale.
Depuis le vent a tourné: dans son discours annuel à la nation en 2022, le président Cyril Ramaphosa a estimé que le secteur du chanvre et du cannabis pourrait créer plus de 130.000 emplois dans le pays.
- Crédits carbone -
Les premiers permis de cultures ont ainsi été distribués courant 2022. Afrimat Hemp s'apprête maintenant à produire les tout premiers blocs de béton de chanvre 100% sud-africains.
Selon les estimations de l'entreprise, construire une maison de 40m2 à base de chanvre "économiserait trois tonnes de CO2" par rapport à une construction classique.
Et les économies en termes d'isolation thermique sont "massives", explique Wihan Bekker, 28 ans. L'ingénieur et "consultant carbone" engagé par Afrimat Hemp voit des "opportunités énormes" notamment dans la construction de logements sociaux.
La barrière principale reste le coût. Construire avec du chanvre est en moyenne 20% plus cher, explique Bekker. Mais il espère voir bientôt des crédits carbone recouvrir cette différence: "On peut financer des forêts comme on peut payer pour que quelqu'un puisse vivre dans une maison en chanvre."
"C'est vraiment passionnant d'essayer de faire en sorte que ce produit devienne accessible", s'enthousiasme l'architecte du Hemp Hotel, Wolf Wolf. Son cabinet est déjà engagé dans plusieurs projets de logements sociaux en Afrique du Sud et au Mozambique voisin.
"Tout va changer maintenant qu'on aura du chanvre et des blocs produits localement”, dit-il.
Reste à surmonter quelques stigmates associés notamment à la plante de cannabis, dont le chanvre industriel est un cousin.
La construction en matériaux dits "biosourcés" n'est pas nouvelle sur le continent africain, rappelle Boshoff Muller, évoquant notamment les maisons en torchis, terre et paille, de zones rurales.
Le chantier du Hemp Hotel doit servir de "phare", dit-il, "pour montrer que le chanvre a toute sa place dans le secteur du bâtiment".
Le bâtiment a été classé "plus haut au monde à intégrer des matérieux à base de chanvre" par Steve Allin, directeur de l'Association internationale de la construction au chanvre, basée en Irlande.
(E.Beaufort--LPdF)