Le Sénat lance son marathon budgétaire, avec les cartes en main
Loin d'une Assemblée nationale fragmentée et sans majorité, le Sénat se penche dès mercredi sur les budgets de l'Etat et de la Sécurité sociale en commission, avec une occasion unique de peser dans les débats tout en soutenant le gouvernement de Michel Barnier.
Tout juste rejeté par les députés car trop dénaturé pour le camp gouvernemental, le budget pour 2025 atterrit à la chambre haute dans sa version initiale, tel que soumis début octobre au Parlement par le Premier ministre.
Quant au budget de la Sécurité sociale, il n'a pas pu être examiné entièrement par l'Assemblée dans les délais, et arrive donc lui aussi au Palais du Luxembourg dans une version à peine amendée de quelques dispositifs acceptés par l'exécutif.
Résultat des courses: "C'est ici que les budgets vont s'écrire", résument en chœur la plupart des figures du Sénat, convaincus depuis plusieurs semaines qu'il est temps pour la Haute assemblée d'imprimer sa marque.
En effet, le socle commun y est très large, avec près de cinq groupes parlementaires en soutien et environ 250 sénateurs en appui sur les 348 de l'hémicycle... Autant d'arguments qui plaident pour un examen bien plus serein qu'à l'Assemblée pour Michel Barnier et ses ministres de Bercy.
- "Se respecter" -
"Ici, on sait s'écouter et se respecter", avait lancé le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale devant la chambre haute, dominée par son parti Les Républicains. Avant de promettre qu'il "examinerait" les propositions d'économies du Sénat.
Cela tombe bien: la majorité sénatoriale se lance mercredi dans l'examen des deux textes en commission, point de départ d'un marathon budgétaire qui s'étirera jusqu'à la mi-décembre.
Le rapporteur général du budget, Jean-François Husson (LR), assure qu'il pourra proposer "plusieurs milliards d'économies" supplémentaires au gouvernement, lui-même déjà engagé dans un effort majeur à hauteur de 60 milliards d'euros, pour ramener le déficit à 5% du PIB en 2025, contre 6,1% en 2024.
"Il faut être ambitieux, mais réaliste et raisonnable. On doit emmener le pays dans ce temps nécessaire d'effort collectif, avec une attitude digne, respectueuse et exemplaire", reprend le sénateur... Comme pour trancher avec le climat autrement plus agité de l'Assemblée nationale, dont les bancs furent largement délaissés lors des débats par les troupes de la coalition Barnier.
"C'est vrai que la configuration de l'Assemblée n'est pas propice pour dégager des majorités. Ici, on aura matière à voter des décisions douloureuses mais nécessaires... La main est au Sénat, même si on ne se fera pas que des amis", abonde la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, qui rapporte elle le budget de la Sécu.
Plusieurs propositions sénatoriales ont déjà filtré. La création d'une seconde journée de solidarité à la place d'un jour férié, par exemple, pourrait prendre la forme d'une "contribution de solidarité" de sept heures par salarié et par an, à mettre en place par les entreprises, explique une source parlementaire.
En complément d'une taxe sur les boissons sucrées, maintenue par le gouvernement dans le budget de la Sécu, les sénateurs entendent aussi agir sur la fiscalité du tabac.
- Collectivités cajolées -
Quelques ajustements sont par ailleurs à attendre sur le dossier ultrasensible de la réduction des allègements de charges patronales, censée rapporter quatre milliards d'euros.
Quant à l'indexation des retraites sur l'inflation, le compromis LR-Barnier annoncé par le chef des députés LR Laurent Wauquiez a pris de court la chambre haute, mais celle-ci semble partie pour le reprendre, quitte à le "retravailler", dit-on au groupe LR.
Sur les dépenses de l'Etat, le Sénat a déjà proposé en commission plusieurs coups de rabot: la suppression du Service national universel (SNU), la réduction drastique du budget de la formation des enseignants - rarement consommé intégralement - ou encore la réduction des fonds alloués à l'Aide médicale d'Etat (AME) pour les sans-papiers, dossier hautement inflammable dans les rangs macronistes.
Et il entend aller plus loin sur "l'efficience des opérateurs de l'Etat" ou la fraude.
En proposant ces pistes d'économies, la "chambre des territoires" espère bien cajoler en contrepartie les collectivités territoriales, ciblées par le budget à hauteur d'au moins cinq milliards d'euros.
"Nous œuvrerons pour que ces efforts soient drastiquement diminués", a promis le nouveau chef des sénateurs LR Mathieu Darnaud dans un entretien à L'Opinion. "Il est inutile de stigmatiser les collectivités qui sont un moteur de la croissance".
(R.Lavigne--LPdF)