La forêt de Chantilly, sentinelle menacée du réchauffement climatique
Températures en hausse, sol aride et invasions de parasites: dans la forêt de Chantilly, scientifiques et bénévoles s'activent à faire migrer des arbres du Sud, plus résistants, vers le Nord, où les essences autochtones meurent en silence du réchauffement climatique.
A première vue, il n'y a que chênes, tilleuls et charmes verdoyants. "Rien ne m'interpellait, finalement", reconnaît Christophe Blanchet, bénévole du mouvement "Ensemble sauvons la forêt de Chantilly" (Oise).
Au contact d'experts, cet ancien salarié dans l'aviation a appris à lever les yeux vers le faîte des arbres. Leurs branches sèches - beaucoup ont perdu leurs feuilles - sont le symptôme d'une mort prochaine. Plus exposée au soleil et éloignée des racines, d'où proviennent les nutriments, la couronne de l'arbre est la première à souffrir du réchauffement.
Dans le Domaine de Chantilly, le chêne est l'essence la plus répandue et la plus touchée. "C'est l'arbre-maître! Quand on voit qu'ils sont sérieusement en mauvais état, ça fait quelque chose", affirme M. Blanchet.
Depuis mars, le collectif de bénévoles, fort de 330 membres, mène avec des scientifiques et des ingénieurs de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) de Nancy, une campagne de tests sur les 6.300 hectares du domaine. Ici, la température moyenne a grimpé "d'1,5 degré en 30 ans", selon la directrice des lieux, Daisy Copeaux.
Deux à trois fois par semaine, des équipes viennent gratter le sol pour en définir les caractéristiques, comprendre pourquoi certaines espèces "autochtones" dépérissent, et sélectionner celles venues d'ailleurs qui devront les remplacer.
Au total, 13.000 échantillons seront recueillis d'ici le 28 juillet avant d'être analysés par un laboratoire bordelais. Les "petites mains" comme Jean-Michel Henrion, la plupart retraitées, enchaînent les coups de marteau sur leur "carottier", un tube en métal utilisé pour les prélèvements.
- "État critique" -
"On n'est plus tout jeunes", s'amuse-t-il, en fourrant une motte de terre dans un sachet plastique. Un "travail de fourmis". Mais l'apprentissage au contact des forestiers et le sentiment de contribuer à la préservation de la forêt à laquelle ils sont tous attachés leur font oublier les courbatures du soir.
Car le domaine de Chantilly, dont 40% des arbres sont "touchés par le dépérissement", est dans un "état critique", alerte Daisy Copeaux. Difficile de survivre sur une terre sablonneuse pauvre en nappes phréatiques naturelles, qui ne retient pas l'eau de pluie. Ainsi assoiffés puis cuits par le soleil, certains sont "incapables de se réveiller au printemps".
D'ici quelques décennies, l'Oise devrait avoir un climat similaire au Midi, estime le scientifique Hervé Le Bouler, surnommé "le Druide" par les bénévoles. L'urgence est alors de faire "migrer" des espèces du sud, habituées aux canicules, vers le nord. Un processus qui prendrait "plusieurs milliers d'années si on laissait faire la nature", et la forêt "n'a pas le temps d'attendre".
Sur une parcelle d'expérimentation, le coordinateur des bénévoles Jean-Charles Bocquet surveille ainsi "l'adaptation d'essences d'arbres qui viennent du Sud de la France dans les conditions de Chantilly". Ces "jeunes chênes chevelus d'Albi" pourraient repeupler le domaine dans les années à venir.
Il ne s'agit pas de "tout remplacer par des nouvelles espèces", précise M. Bocquet. L'idée étant de "travailler en +patchwork+" pour tester la complémentarité entre les arbres et la résistance de chacun aux aléas environnementaux, tout en "privilégiant" la flore d'origine.
- Invasions d'insectes -
Mais trouver une parade à l'aridité des sols n'est pas le seul défi. La hausse des températures a aussi brisé les cycles de "grands froids" qui régulaient les populations de parasites. Préservées du gel, les larves de hannetons "dévorent les racines" des arbres et coupent leur approvisionnement en nutriments.
D'autres "insectes piqueurs" laissent çà et là des troncs grêlés. De petites cavités, semblables à des trous de perçeuses, témoignent du passage de scolytes. Ces ravageurs forent des galeries dans le bois, dérégulant le flux de sève des arbres. Comme un humain en manque de sang, ils finissent par mourir.
Les conséquences du réchauffement climatique apparaissent à Chantilly avec "5-10 ans d'avance" sur le reste de la France, prévient Hervé Le Bouler. D'où l'intérêt d'avoir transformé cette "sentinelle" en "laboratoire à ciel ouvert" et d'y élaborer des solutions qui pourront "servir à d'autres".
Leur quotas de "trous" rempli, les bénévoles comme Aline Hanshaw rentrent en sifflotant de la session de prélèvements matinale. Certains rempileront l'après-midi. Sans eux, l'expérience serait "impossible", concluent les ingénieurs d'étude de l'INRAE.
(E.Beaufort--LPdF)