Opération anticorruption au Parlement européen, onde de choc à Bruxelles
Un opération anticorruption de la police belge au Parlement européen, en lien avec le Qatar, suscitait samedi de très vives réactions à Bruxelles, élus et ONG appelant à débattre en urgence d'une amélioration des règles d'éthique dans cette grande institution de l'UE.
"Il ne s'agit pas d'un incident isolé", a réagi l'organisation Transparency international. "Depuis plusieurs décennies, le Parlement a laissé se développer une culture de l'impunité (...) et une absence totale de contrôle éthique indépendant".
Ce contrôle dans l'institution est "défectueux", a renchéri sur Twitter Alberto Alemanno, professeur de droit au Collège d'Europe à Bruges.
Cinq personnes ont été arrêtées vendredi à Bruxelles à l'issue d'au moins 16 perquisitions dans une enquête sur des soupçons de versements d'argent "conséquents" par un pays du Golfe pour influencer les décisions des eurodéputés.
Le parquet fédéral n'a pas nommé le pays, mais une source judiciaire proche du dossier a confirmé à l'AFP qu'il s'agissait du Qatar, comme le révélaient les médias Le Soir et Knack.
L'affaire éclate en plein Mondial-2022 de football, alors que le pays organisateur doit déployer des efforts pour défendre sa réputation décriée en matière de respect des droits humains, notamment ceux des travailleurs.
Surtout, le dossier a pris une dimension supplémentaire quand a été confirmée l'identité de la cinquième personne interpellée vendredi soir.
L'eurodéputée grecque Eva Kaili est une ex présentatrice télé de 44 ans devenue une figure de la sociale-démocratie dans son pays. Elle a aussi le titre de vice-président du Parlement européen comme 13 autres élus.
- Suspects italiens -
Mme Kaili a immédiatement été écartée du Parti socialiste grec (Pasok-Kinal), qui souhaiterait aussi la voir céder son siège au Parlement européen. Le groupe Socialistes et Démocrates (S&D) de l'assemblée européenne a annoncé sa suspension "avec effet immédiat".
Samedi les auditions de cinq suspects se poursuivaient à Bruxelles, selon un porte-parole du parquet fédéral.
Un éventuel placement en détention provisoire par le juge d'instruction doit être décidé dans un délai de 48 heures après l'interpellation, soit d'ici à dimanche soir au plus tard concernant Mme Kaili.
L'enquête du juge belge Michel Claise vise des faits de "corruption" et de "blanchiment d'argent" en bande organisée, selon le parquet.
Samedi le journal belge L'Echo affirmait que "plusieurs sacs remplis de billets" ont été découverts au domicile bruxellois d'Eva Kaili, que la police a décidé de perquisitionner après avoir surpris le père de l'élue lui-même en possession d'une grosse quantité d'argent liquide dans "une valise".
Selon des informations de presse confirmées à l'AFP, au moins trois suspects interpellés vendredi sont Italiens ou d'origine italienne: l'ancien eurodéputé socialiste Pier-Antonio Panzeri, le secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI) Luca Visentini, ainsi que Francesco Giorgi, un assistant parlementaire du groupe S&D, compagnon de Mme Kaili.
- "Lobbying agressif du Qatar" -
Outre les cinq en Belgique, il y aussi eu deux interpellations en Italie, d'après les agences de presse italiennes, identifiant l'épouse et la fille de M. Panzeri.
Eva Kaili s'était rendue début novembre au Qatar où elle avait salué en présence du ministre qatari du Travail les réformes de l'émirat dans ce secteur.
"Le Qatar est un chef de file en matière de droits du travail", avait aussi affirmé la Grecque le 22 novembre à la tribune du Parlement européen. Ces propos avaient suscité des remous dans les rangs de la gauche.
L'eurodéputée française Manon Aubry (gauche radicale) a dénoncé samedi "le lobbying agressif du Qatar", et exigé un débat sur le sujet la semaine prochaine à Strasbourg, où le Parlement se réunit en session plénière.
"Nous ferons tout ce qui est notre pouvoir pour coopérer avec la justice", a tweeté pour sa part la présidente du Parlement, la Maltaise Roberta Metsola.
Côté investigations, des téléphones et du matériel informatique saisis vendredi doivent être analysés.
La police a placé sous scellés des bureaux au sein du Parlement anciennement utilisés par M. Panzeri (qui siégea comme eurodéputé de 2004 à 2019) ou ses collaborateurs.
(A.Laurent--LPdF)