Birmanie: dans des camps de déplacés, des prières pour échapper au conflit
A l'aide d'une cloche, une femme appelle les fidèles à venir prier dans l'église de bric et de broc d'un camp de déplacés, malgré la peur des combats en cours dans l'Est de la Birmanie.
Dans cette région à majorité chrétienne, des milliers de jeunes urbains ont cherché refuge dans la jungle pour fuir la répression visant le mouvement pro-démocratie qui a suivi le coup d'Etat de 2021 en Birmanie.
Nombre d'entre eux se sont portés volontaires pour rejoindre des groupes armés de défense du peuple (PDF) qui combattent la junte au pouvoir.
A Demoso, dans l'Etat de Kayah, un chemin de terre mène à l'église locale, où les habitants prient, étudient et mangent, sous la menace de frappes aériennes de l'armée.
Mar Thi Yar, 45 ans, est fier du site construit l'été dernier par des fidèles à l'aide de bâches et de bois coupé dans la jungle avoisinante.
Chaque soir, l'église est remplie de vie, assure-t-il.
"Cela montre notre envie d'être ensemble. Nous n'avons que le soutien de Dieu dans nos vies", a-t-il déclaré à l'AFP, le mois dernier.
Dans un autre camp, Daw Yit, 27 ans, enseigne à 72 enfants déplacés dans une école qu'elle a contribué à fonder en décembre.
"Nous enseignons aux enfants la Bible et comment s'adonner au culte. C'est la manière de soigner leur traumatisme", explique la jeune femme.
"Nous prenons soin d'eux pour qu'ils deviennent de bons citoyens, et j'espère qu'ils deviendront des dirigeants qui pourront bien gérer notre pays", dit-elle.
- "Aucune sécurité mentale" -
"Les enfants ont eu beaucoup de traumatismes durant cette guerre", dénonce-t-elle.
Et Daw Yit doit en permanence prêter l'oreille aux bruits de l'extérieur pour anticiper la proximité d'un avion de chasse ou de tirs d'artillerie.
"Il n'y a aucune sécurité mentale pour nous, et nous ne pouvons pas bien enseigner", déplore-t-elle. "Pendant les cours, nous devons être prêts à fuir et nous cacher si les avions de chasse arrivent."
Près de l'école, un réseau de tranchées creusées dans la terre pourpre, sert de bunker de fortune pour se protéger des frappes aériennes.
L'ONG Amnesty International a indiqué l'an dernier que la junte employait probablement ses avions de chasse de fabrication russe et chinoise, comme moyen de "punition collective" auprès de civils soupçonnés de soutenir les combattants antiputsch.
"Il n'y a aucun endroit sûr", explique Aung Khet, membre d'un comité qui gère un autre camp de déplacés dans l'Etat de Kayah, où il habite depuis mai 2022.
"D'habitude, s'il y a une frappe aérienne, nous fuyons dans la forêt pour nous cacher".
Quand le danger ne vient pas du ciel, il frappe au porte-monnaie. L'inflation et les cahots d'une économie chancelante depuis le putsch ont réduit les ressources des organisations humanitaires.
"L'an dernier, nous avions 300.000 kyats (130 EUR) et c'était assez pour nourrir 150 personnes", indique Yinn Yinn, de l'ONG Karenni Support Team. Désormais, cette somme ne couvre les besoins que de 60 personnes. "Les prix ont doublé", se lamente-t-elle.
- "Qu'après cette révolution" -
Selon les Nations unies, les affrontements ont provoqué le déplacement de plus de 100.000 personnes qui s'entassent dans les nombreux camps.
Le conflit qui s'enlise enlève toute perspective de retour à la normale pour eux.
La plupart des familles n'ont pas les moyens de reconstruire leur maison détruite par les combats, remarque Aung Khet.
"Même si nous avions les moyens, nous ne le ferions qu'après cette révolution", dit-il.
Les combats se sont intensifiés ces dernières semaines dans l'Etat de Kayah (est), où s'est propagée l'onde de choc de l'attaque lancée contre la junte, fin octobre, dans l'Etat de Shan (nord) par trois groupes ethniques minoritaires.
Cette offensive coordonnée pose une menace militaire d'une ampleur inédite pour la junte depuis le putsch, selon des experts.
Les Forces de défense des nationalités karenni (KNDF), un des groupes de défense du peuple, ont revendiqué mi-novembre le crash d'un avion militaire, dans leur opération visant à prendre la capitale régionale, Loikaw.
Un porte-parole de la junte a affirmé que le crash était dû à un problème de moteur.
(C.Fontaine--LPdF)