Ukraine: la Croix-Rouge tente une nouvelle évacuation à Marioupol, bombardements dans plusieurs régions
La Croix-Rouge s'apprête samedi à tenter des évacuations de civils de la ville assiégée de Marioupol, dans le Sud-Est de l'Ukraine d'où plus de 3.000 personnes ont déjà fui, après une nouvelle nuit de bombardements dans plusieurs régions du pays.
La cité portuaire, située au bord de la mer d'Azov, demeure un point névralgique et la situation humanitaire y est catastrophique. Après des semaines de bombardements, les autorités locales ont fait état d'au moins 5.000 habitants tués.
Quelque 160.000 personnes seraient toujours bloquées dans cette ville dont la prise permettrait d'assurer aux Russes une continuité territoriale, depuis la Crimée jusqu'aux deux républiques séparatistes prorusses du Donbass.
Les forces russes, qui ont desserré leur étau sur la capitale Kiev et Tcherniguiv, autre ville assiégée dans le Nord, se regroupent pour se concentrer sur l'Est de l'Ukraine, en prévision "d'attaques puissantes", notamment sur Marioupol, selon le président Volodymyr Zelensky.
Elles y feront face à une armée ukrainienne aguerrie, laissant présager un conflit "prolongé" qui pourrait durer des mois, a prévenu le Pentagone.
Dans l'ensemble du pays au moins 158 enfants ont été tués et 254 blessés, selon Kiev, depuis le début de l’invasion, lancée le 24 février dernier.
Impossibles pendant des semaines, les évacuations ont commencé à petite échelle.
Vendredi, "les couloirs humanitaires ont fonctionné dans trois régions: Donetsk, Lougansk et Zaporojie. Nous avons réussi à sauver 6.266 personnes, dont 3.071 de Marioupol" -- ayant fui en voitures privées ou en bus -- a affirmé le président Zelensky dans une vidéo diffusée dans la nuit de vendredi à samedi.
- "Notre ville n'existe plus" -
L'AFP a assisté à l'arrivée d'une trentaine de bus d'évacuation dans la ville de Zaporojie vendredi soir. Certains transportaient des personnes qui avaient fui Marioupol par leurs propres moyens puis avaient été emmenées en bus vers le territoire contrôlé par l'Ukraine.
En arrivant dans la banlieue de Zaporojie, de retour en territoire ukrainien, certains évacués pleuraient de soulagement.
Plusieurs personnes parties de Marioupol ont raconté à l'AFP avoir dû marcher 15 kilomètres ou plus pour quitter la ville, avant de trouver des véhicules privés pour poursuivre leur voyage. Leur voyage s'est terminé par un trajet en bus de 12 heures qui a serpenté à travers une série de points de contrôle avant d'arriver à Zaporojie. Un voyage qui n'aurait pris que trois heures avant la guerre.
"Nous avons pleuré lorsque nous avons vu des soldats au poste de contrôle avec des écussons ukrainiens sur leurs bras", a confié Olena, sa petite fille dans les bras. "Ma maison a été détruite. Je l'ai vu sur des photos. Notre ville n'existe plus".
"J'en pleure, je viens juste de voir ma petite-fille", a dit Olga, au centre organisé à Zaporojie pour les familles de déplacés. "La famille de sa mère est toujours à Marioupol et nous ne savons pas s'ils sont en vie", a-t-elle ajouté.
Ces habitants de Marioupol avaient réussi à rejoindre la ville de Berdiansk, occupée par les forces russes, où elles ont été prises en charge par le convoi, selon des témoignages à l'AFP et des responsables officiels.
Samedi, sept couloirs humanitaires étaient prévus dans l'est et le sud-est, selon la Première ministre Iryna Verechtchouk.
Après avoir dû renoncer à atteindre Marioupol vendredi, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a annoncé qu'il essaierait à nouveau samedi "de faciliter le passage en toute sécurité de civils de Marioupol".
Mais "pour que l'opération réussisse, il est essentiel que les parties respectent les accords et fournissent les conditions nécessaires et les garanties de sécurité", a aussi souligné le CICR.
- Poursuite des bombardements -
Des conditions fragilisées par la poursuite des combats. La Russie a accusé vendredi l'Ukraine d'avoir mené une frappe par hélicoptères sur son sol et agité la menace d'un durcissement des négociations. Kiev n'a pas commenté, M. Zelensky déclarant à la chaîne américaine Fox News qu'il "ne discutait pas de (ses) ordres en tant que commandant en chef".
L'attaque a touché les installations de stockage de carburant du géant de l'énergie Rosneft à Belgorod, ville russe à environ 40 kilomètres de la frontière avec l'Ukraine.
Pour le ministère britannique de la Défense, la destruction de réservoirs de pétrole à Belgorod ainsi que les explosions dans un dépôt de munitions près de la ville ajouteront "probablement une pression supplémentaire à court terme sur les chaînes logistiques russes déjà très sollicitées".
L'Ukraine a de son côté averti que les soldats russes ayant quitté la centrale nucléaire de Tchernobyl - site du pire accident nucléaire au monde, en 1986 - après des semaines d'occupation avaient pu être exposés à des radiations, jugeant que "la Russie s'était comportée de manière irresponsable à Tchernobyl" en creusant des tranchées dans les zones contaminées et en empêchant le personnel de la centrale de remplir ses fonctions.
Depuis la nuit de vendredi à samedi, plusieurs régions, notamment dans le centre et l’est, ont été bombardées.
Les frappes ont touché des quartiers résidentiels à Kharkiv (est), selon la présidence citant les autorités régionales, mais aussi des infrastructures à Dnipro (centre) selon le gouverneur régional, ou encore des localités dans les régions de Donetsk et Lougansk (est), ainsi que Kherson (sud).
Des bombardements ont aussi atteint des infrastructures à Krementchouk (centre, région de Poltava), siège de la plus grande raffinerie de pétrole ukrainienne, a indiqué la présidence ukrainienne, tandis que le ministère russe de la Défense annonçait samedi matin avoir détruit avec "des armes de haute précision" des dépôts d’essence et de carburant diesel de la raffinerie.
Ces dépôts servaient à fournir du carburant aux forces ukrainiennes dans le centre et dans l’est du pays, selon un communiqué du ministère.
Des "missiles russes de haute précision" ont également mis hors service deux aérodromes militaires des régions de Poltava et Dnipropetrovsk (centre), selon la même source.
À Kharkiv, les bombardements se poursuivaient samedi matin par intermittence, en particulier sur le district de Saltivka, un quartier déjà en grande partie détruit et déserté par ses habitants, hormis quelques réfugiés dans les caves, a constaté l’AFP sur place.
- Nouvelle aide américaine -
"Donnez-nous des missiles. Donnez-nous des avions", a plaidé le président ukrainien Volodymyr Zelensky sur Fox News. "Vous ne pouvez pas nous donner des F-18 ou des F-19 ou tout ce que vous avez ? Donnez-nous les vieux avions soviétiques. (...) Donnez-moi quelque chose pour défendre mon pays avec".
La demande a été entendue par les États-Unis, qui ont annoncé jusqu'à 300 millions de dollars supplémentaires d'aide militaire à l'Ukraine, comprenant des systèmes de missiles guidés par laser, des drones "kamikazes" Switchblade, ainsi que des drones légers de type Puma.
Selon le Pentagone, les États-Unis ont engagé plus de 2,3 milliards de dollars d'aide militaire à l'Ukraine depuis la prise de fonction de l'administration Biden, dont plus de 1,6 milliard d'aide militaire depuis l'invasion.
Les pourparlers de paix entre les responsables ukrainiens et russes ont repris vendredi par vidéo, mais le Kremlin a prévenu que l'attaque à Belgorod ne pouvait "être perçue comme créant des conditions confortables pour la poursuite des négociations".
Dimanche, le secrétaire général adjoint de l'ONU pour les Affaires humanitaires, le Britannique Martin Griffiths, sera à Moscou afin d'essayer d'obtenir un "cessez-le-feu humanitaire" en Ukraine, a annoncé vendredi le chef des Nations unies, Antonio Guterres.
La Chine, proche partenaire de Moscou, a de son côté nié contourner "délibérément" les sanctions occidentales contre la Russie au lendemain d'un avertissement de l'UE que tout soutien de Pékin à la Russie nuirait à ses relations économiques avec l'Europe.
L'économie ukrainienne subit, elle, le contrecoup des événements : le PIB ukrainien s’est effondré de 16% au premier trimestre, par rapport à la même période de l’an dernier, selon des estimations du ministère de l’Economie.
(H.Duplantier--LPdF)