Sri Lanka: le président Rajapaksa perd sa majorité parlementaire
Le président sri-lankais Gotabaya Rajapaksa a perdu sa majorité parlementaire et son nouveau ministre des Finances mardi tandis que manifestations et appels à sa démission s'intensifiaient dans un contexte de crise économique aiguë sans précédent.
Le pays de 22 millions d'habitants souffre de pénuries de biens essentiels (aliments, carburant, médicaments), de coupures d'électricité et d'une inflation record, sans que rien ne laisse présager la fin de ces difficultés.
La coalition du Sri Lanka Podujana Party (SLPP) du président Gotabaya Rajapaksa, autrefois toute puissante, a subi une série de défections en amont de la session parlementaire qui s'était réunie mardi.
Seize députés du SLPP ont quitté ses rangs privant le président de sa majorité parlementaire courte de cinq membres dans une Chambre qui en compte 225.
Les partis d'opposition ont déjà rejeté l'invitation à former un gouvernement d'union dirigée par Gotabaya Rajapaksa et son frère aîné, le Premier ministre Mahinda Rajapaksa.
Il n'y a pas eu de signal clair que les députés tenteront une motion de défiance qui le contraindrait à démissionner.
Un député nouvellement indépendant, après avoir quitté la coalition présidentielle, a jugé devant le Parlement mardi qu'il était temps pour le dirigeant de démissionner.
"Si nous n'agissons pas maintenant, une rivière de sang va couler dans le pays", a déclaré Wijeyadasa Rajapakshe. "Nous devons oublier la politique de parti et garantir un gouvernement intérimaire", a-t-il ajouté.
- Levée de l'état d'urgence -
La dernière défection retentissante est celle du tout nouveau ministre des Finances Ali Sabry qui a annoncé mardi quitter ses fonctions, au lendemain de sa nomination par le président Rajapaksa.
"Bien que je regrette les désagréments causés, je crois avoir toujours agi dans le meilleur intérêt du pays", a ajouté M. Sabry dans une déclaration, prônant des "mesures nouvelles, proactives et non conventionnelles" pour résoudre les difficultés du pays.
Le plus haut fonctionnaire de son ministère a également donné sa démission mardi, un jour après celle de Ajith Cabraal, gouverneur de la Banque centrale.
Nimal Lanza, un ancien ministre qui a également abandonné l'administration de Rajapaksa, a concédé que le parti au pouvoir n'avait plus de mandat pour gouverner et apporté son soutien aux foules qui exigent la démission du président.
"Je vous supplie et vous appelle à prendre le parti des manifestants", a-t-il déclaré au Parlement, s'adressant au Premier ministre qui assistait, silencieux, à la session.
Tous les membres du gouvernement, à l'exception du président et de son frère aîné, ont démissionné dimanche soir.
De nombreuses manifestations, appelant au départ des Rajapaksa, se sont déroulées dans les plus grandes villes, malgré l'état d'urgence autorisant l'armée à arrêter les contrevenants et le couvre-feu imposé durant le week-end.
L'état d'urgence, qui a duré cinq jours, a été levé mardi soir.
"A partir du 5 avril à minuit, je révoque la proclamation que j'ai faite", a déclaré le président. L'état d'urgence a débouché sur l'arrestation de plus de 60 personnes par la police. Certains détenus ont affirmé avoir subi des tortures de la part des forces de l'ordre.
- "Insultée par la corruption" -
La foule a tenté lundi de prendre d'assaut les résidences d'une dizaine de personnalités du gouvernement, dont celle du président à Colombo. Des manifestants ont incendié des véhicules des forces de sécurité, qui ont répliqué par des tirs de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc.
Mais la plupart des manifestations ont été pacifiques.
Le clergé et les religieuses catholiques, cardinal Malcolm Ranjith en tête, ont aussi organisé mardi une procession silencieuse dans la capitale.
"C'est un pays précieux avec des gens intelligents. Mais notre intelligence, l'intelligence du peuple, a été insultée par la corruption", a déclaré le cardinal Ranjith.
"Par conséquent, nous lançons maintenant un appel (...) s'il vous plaît, écoutez maintenant le cri du peuple et démissionnez", a ajouté le prélat.
La pandémie de Covid a fait chuter les revenus du tourisme et les transferts de fonds. Subissant une grave pénurie de devises étrangères, le Sri Lanka peine à assurer le service de sa dette colossale de 51 milliards de dollars.
De mauvaises décisions politiques ont aggravé les problèmes, selon les économistes. Des réductions d'impôts malavisées juste avant la pandémie ont privé l'État de recettes et creusé la dette.
Le gouvernement a reconnu qu'il s'agissait de la pire crise économique depuis l'indépendance en 1948 et a demandé l'aide du Fonds monétaire international (FMI) mais les négociations pourraient durer jusqu'à la fin de l'année.
(R.Dupont--LPdF)