Le Pays De France - Pour le Charles de Gaulle, fin d'une mission où "la guerre a changé le plan"

Paris -
Pour le Charles de Gaulle, fin d'une mission où "la guerre a changé le plan"
Pour le Charles de Gaulle, fin d'une mission où "la guerre a changé le plan"

Pour le Charles de Gaulle, fin d'une mission où "la guerre a changé le plan"

Un changement complet de mission en cours de route, une densité inédite de Russes, l'adrénaline provoquée par l'irruption d'une guerre majeure en Ukraine... C'est un engagement hors-norme de plus de deux mois que le porte-avions français Charles de Gaulle et son escorte sont en passe d'achever.

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"Vous étiez partis en février pour aller appuyer la lutte contre le terrorisme au Levant", mais "le retour de la guerre en Europe a changé le plan": figés dans la lumière rouge de nuit des coursives, les marins écoutent le message du chef d'état-major des armées, diffusé partout à bord du fleuron de la Marine française.

Le général Thierry Burkhard est venu leur rendre visite mardi, avant leur retour à Toulon. Le 1er février, l'équipage quittait son port d'attache pour participer à la mission Chammal, en envoyant les Rafale marine et des avions de détection Hawkeye au-dessus de l'Irak et la Syrie.

Mais après l'invasion de l'Ukraine le 24 février, Paris décide que son unique porte-avions, qui croise alors en Méditerranée orientale quadrillée de bâtiments russes, doit contribuer avec ses avions à la protection des frontières de la Roumanie et la Bulgarie, pays de l'Otan proches du terrain de guerre.

"C'est la première fois que le groupe aéronaval (le porte-avions et son escorte, ndlr) change de mission en déploiement. En trois jours on a fait une bascule", explique le contre-amiral Christophe Cluzel, qui le dirige. "Tout le monde était très conscient que l'instant était grave pour l'Europe".

- "Un gros travail" -

Mais "il n'y a pas eu de bouleversement à bord", affirme le capitaine de vaisseau Sébastien Martinot, qui dirige les quelque 1.800 marins et 42.500 tonnes que représente le porte-avions, pour paraphraser la formule d'Henry Kissinger.

Tout juste y a-t-il eu "une petite montée d'adrénaline", explique le lieutenant de vaisseau Jean-Marc, chef de bordée du personnel du pont d'envol. A 48 ans, il fait partie des anciens. "On avait déjà connu ce genre de situation, comme en ex-Yougoslavie. On a pu rassurer les plus jeunes".

Assis dans un Hawkeye à son poste de contrôleur tactique, le lieutenant de vaisseau Cédric, 36 ans, se remémore ces moments. "Il peut y avoir un petit sentiment d'inquiétude, d'inconnu, comme tout un chacun peut avoir en France, mais du fait d'être en groupe, soudés, tous vers la mission, on se pose beaucoup moins de questions".

"Cela a été un gros travail de se réapproprier la nouvelle zone, intégrer les règles pour y opérer", explique le capitaine de corvette Florentin, 37 ans, officier de lutte de l'état-major, qui collecte et analyse les informations remontées par les éléments du groupe.

Il a fallu aussi changer l'armement des Rafale, pour remplacer les missiles air-sol destinés au théâtre irako-syrien par des missiles air-air, afin de pouvoir éventuellement faire face à des avions russes. "Nous avons 300 tonnes de munitions à bord, la panoplie d'armement est suffisante", explique dans l'immense hangar du porte-avions le lieutenant de vaisseau Michaël, 50 ans, responsable des munitions.

- Trois sous-marins russes -

L'autre aspect extraordinaire de la mission a tenu à la présence russe autour du groupe.

"Ce qui a été très particulier (...) c'était la densité des unités autour de nous, à la fois aérienne et de surface (...) Il a fallu gérer plus d'interactions", résume le capitaine de corvette Edouard, 34 ans, un des responsable du centre opérationnel du porte-avions.

En Méditerranée orientale, "il y avait une vingtaine de bâtiments russes, dont trois sous-marins" se rappelle l'amiral Cluzel. "Quand on a autant de milliers de tonnes d'acier en Méditerranée, forcement la tension monte (...) J'ai renforcé très singulièrement le dispositif défensif du porte-avions, nous étions prêts à utiliser n'importe quelle arme dans des délais très courts".

Avec toujours la volonté d'éviter l'escalade ou la méprise sur les intentions rivales qui pourraient conduire à l'irréversible. Après le déclenchement de l'offensive russe en Ukraine, le message aux armées françaises d'Emmanuel Macron appelant "une grande vigilance et la retenue nécessaire" leur était en grande partie destiné.

Mais "les Russes sont restés très professionnels", affirme le capitaine de corvette Florentin, et n'étaient pas plus agressifs que d'habitude. "Le sous-marin, c'est un bon moyen de juger l'intentionnalité. Or ils ne se sont jamais approchés", fait valoir l'amiral Cluzel.

Entre l'Italie et la Corse, alors que les marins devraient arriver à Toulon jeudi, le lieutenant de vaisseau Cédric, pilote de Rafale de 30 ans, confie sa "fierté": "C'est beaucoup plus concret (...) de défendre une frontière est aussi proche de la France. Car on sait que si ça va plus loin, c'est potentiellement nos territoires, donc nos familles, qui vont être en danger".

(H.Duplantier--LPdF)