Pakistan: le Premier ministre, sous la menace d'un vote de défiance, va s'exprimer
Le Premier ministre pakistanais Imran Khan doit s'adresser à la Nation vendredi soir, à la veille d'un vote à l'Assemblée nationale qui selon toute vraisemblance le verra perdre la confiance des députés et être poussé vers la sortie.
L'ancien joueur vedette de cricket, au pouvoir depuis 2018, a promis de se battre "jusqu'à la dernière balle", dans une des métaphores sportives dont il est coutumier, après la décision jeudi de la Cour suprême de restaurer l'Assemblée et de faire tenir un vote sur une motion de censure à son encontre.
Il a convoqué vendredi les membres de son gouvernement et les principaux dirigeants de son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI, Mouvement du Pakistan pour la justice), pour évoquer la stratégie à adopter.
Le chef du gouvernement pensait avoir réussi un coup politique de premier ordre dimanche, grâce au refus du vice-président de l'Assemblée nationale, un de ses fidèles, de soumettre cette motion de censure au vote, au motif qu'elle était inconstitutionnelle car résultant d'une "ingérence étrangère".
Cette manoeuvre lui avait permis d'obtenir immédiatement du président de la République, Arif Alvi, un autre de ses alliés, la dissolution de l'Assemblée et la convocation d'élections sous trois mois.
Mais dans une décision qui devrait faire date en affirmant son indépendance, la Cour suprême a considéré que toute la procédure était inconstitutionnelle. Elle a annulé la dissolution et ordonné à l'Assemblée de se prononcer sur la motion de censure dès samedi.
Ce jugement a été salué par la presse, le quotidien Dawn notamment estimant que la Cour avait "repoussé un assaut des plus choquants contre l'ordre démocratique".
- L'opposition euphorique -
A moins qu'il ne sorte un nouveau tour de son chapeau, Imran Khan, 69 ans, dont l'opposition n'a cessé de dénoncer la mauvaise gestion de l'économie et des maladresses en politique étrangère, paraît condamné à la chute.
L'opposition avait annoncé dés la semaine dernière avoir rallié suffisamment de voix pour faire voter la défiance. Elle dispose maintenant de 177 voix, quand 172 sont requises pour obtenir la majorité.
Totalement prise de court dimanche par le subterfuge du camp gouvernemental, elle était euphorique jeudi soir après l'annonce de la Cour.
"Cette décision a sauvé le Pakistan et sa Constitution", a réagi le chef de l'opposition à l'Assemblée, Shehbaz Sharif, leader de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) et pressenti pour devenir Premier ministre si la motion de censure est approuvée.
"La démocratie est la meilleure revanche", a également savouré Bilawal Zardari Bhutto, le fils de l'ancienne Première ministre assassinée Benazir Bhutto et chef du Parti du peuple pakistanais (PPP), allié de la PML-N.
La revanche est éclatante pour l'opposition, qui avait été accusée de traîtrise par Imran Khan. Il lui avait reproché d'avoir conspiré avec les Etats-Unis, qui selon lui souhaitaient son départ en raison de ses positions trop favorables à la Russie et la Chine. Washington a nié toute implication.
- L'armée silencieuse -
Imran Khan s'était fait élire en 2018 en profitant de la lassitude des électeurs à l'égard du PPP et de la PML-N, deux partis organisés autour de grandes dynasties familiales qui ont dominé la vie politique nationale pendant des décennies, mais devenus le symbole de la corruption des élites.
Les réformes sociales entreprises par M. Khan, dont les retombées sont controversées, et sa popularité auprès des Pakistanais pour avoir mené le pays à sa seule victoire en Coupe du monde de cricket en 1992, n'ont pas suffi face à la dégradation de la situation économique.
L'inflation (10% en 2021), la forte dépréciation de la roupie (moins 18% depuis juillet) et le creusement de la dette ont rendu sa position vulnérable.
La victoire probable samedi de l'opposition ouvrirait la voie à un possible retour au pays de Nawaz Sharif, trois fois Premier ministre. Il avait été destitué en 2017 pour corruption présumée et emprisonné, puis libéré sous caution en octobre 2019 pour raisons médicales. Il vit depuis en exil au Royaume-Uni.
Son frère cadet Shehbaz apparaît comme le dirigeant d'opposition le plus compatible avec les intérêts de la toute puissante armée, qui avait été accusée de soutenir Imran Khan en 2018 et silencieuse ces derniers jours.
Le Pakistan, une république islamique de 220 millions d'habitants dotée de l'arme nucléaire, a connu quatre putschs militaires réussis et passé plus de trois décennies sous un régime militaire depuis son indépendance en 1947.
(R.Dupont--LPdF)