A Boutcha, l'expérience de la douleur au secours des familles ayant perdu leurs proches
Elle a perdu son mari en 2014 dans les combats contre les séparatistes prorusses du Donbass. Aujourd'hui, Mikhailina Skoryk-Chkarivska, conseillère municipale de Boutcha, utilise son expérience du malheur pour soutenir les familles cherchant leurs proches dans les morgues d'une région devenue symbole des horreurs de l'invasion russe de l'Ukraine.
"Je ressens la douleur de ces gens", indique Mme Skoryk-Chkarivska à l'AFP devant la morgue de Boutcha, en plein travail. C'est dans cette localité de la périphérie nord-ouest de Kiev que furent découverts début avril les corps de 20 civils gisant en pleine rue, suscitant un émoi international.
"Pour moi, c'est très personnel, je comprends combien c'est important pour les familles d'être sûres et de pouvoir enterrer" leurs proches, explique cette femme dont le mari a péri il y a huit ans dans la bataille particulièrement sanglante d'Ilovaïsk, tandis qu'un chariot-élévateur apporte à la morgue des sacs noirs ou blancs contenant des corps.
Les autorités ukrainiennes ont retrouvé plus de 400 corps à Boutcha depuis que l'armée russe s'est retirée de la région fin mars - tués par la guerre mais aussi morts d'autres causes. Débordée, la ville a sollicité l'aide de morgues des villes avoisinantes, compliquant les recherches des familles sans nouvelles de leurs proches.
"Le problème est que les corps sont ailleurs, et les familles sont ici", dit Mme Skoryk-Chkarivska, expliquant que certains corps étaient ensuite rapportés à Boutcha pour identification.
- "Les corps morts ne m'effraient plus" -
Nadia Kovalenko a perdu sa fille Inna, âgée de 45 ans, tuée le 19 mars par une frappe alors qu'elle était partie chercher de l'eau pour sa famille.
Tandis que les combats faisaient rage, des parents lui ont d'abord fait une sépulture provisoire.
Après le départ des troupes russes, les autorités ont exhumé son corps, pour l'examiner puis pouvoir l'enterrer définitivement. Mais il a fallu du temps à sa mère pour le retrouver.
"J'ai dû venir peut-être quatre fois de suite, et il y avait une queue" de gens qui attendaient, a expliqué Mme Kovalenko. "On a attendu et on l'a trouvée. Et hier on l'a enterrée".
Secouée par les sanglots, elle étreint Mme Skoryk-Chkarivska. "C'est fini. Vous avez fait tout ce que vous pouviez", lui souffle cette dernière.
Mais pour d'autres familles, les recherches ne sont pas terminées.
"Je suis venue aujourd'hui, et ça fait déjà deux semaines que je viens, pour examiner les corps et trouver mon mari", dit Tania Boïkiv, 52 ans, équipée de masque et de gants pour rechercher son époux parmi les cadavres.
Elle dit que les troupes russes ont emmené et détenu son mari dans un autre village pendant deux semaines, avant de le battre à mort au moment de leur retrait.
L'une de ses seules pistes est une photo d'un mort prise par un prêtre, sur laquelle elle pense avoir reconnu son mari.
"C'est la chose la plus terrible de ma vie que mon mari, l'être aimé, soit parti. Je ne connais rien de pire", dit Mme Boïkiv. "Les corps morts ne m'effraient plus, comparés à cette tragédie. Ce serait une consolation de pouvoir l'enterrer et se rendre sur sa tombe".
(A.Monet--LPdF)