Tout (re)commence pour Emmanuel Macron, placé face à l'Histoire
Reconduit à l'Elysée lors d'un scrutin historique, Emmanuel Macron est confronté dès lundi à une France tout aussi fracturée politiquement que lors de sa première élection en 2017.
Historique, l'exploit qui voit le sortant être le premier chef d'Etat réélu hors cohabitation depuis l'instauration du vote au suffrage universel direct en 1962. Historique, au moins autant, le score de Marine Le Pen, qui gagne environ huit points et fait franchir pour la première fois à l'extrême droite la barre de 40% des suffrages.
La campagne électorale, marquée par le Covid et par la guerre en Ukraine, avait montré une forte lassitude démocratique. Celle-ci se retrouve dans le niveau de l'abstention dimanche, estimé à 28%, soit davantage qu'il y a cinq ans (25,44%), et un record depuis la présidentielle de 1969 (31%).
Sa réélection intervient après un quinquennat scandé de crises, des "gilets jaunes" au Covid. Elle place le pays dans la continuité sur ses grandes orientations économiques, européennes et internationales.
- "Pas la continuité du quinquennat qui s'achève" -
Mais lors de son premier discours de victoire au Champ de Mars, sur fond de Tour Eiffel, Emmanuel Macron a promis une "méthode refondée" pour gouverner la France, assurant que "nul se sera laissé au bord du chemin". "Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s'achève", a assuré le président réélu, appelant à être "bienveillants et respectueux" dans un pays "pétri de tant de doutes, tant de divisions".
Alors qu'en guise d'état de grâce, c'est un nouveau combat politique qui l'attend avec les législatives, Emmanuel Macron a aussi pris soin de s'adresser à ceux qui l'ont choisi par défaut, et même aux électeurs de sa rivale.
"Je sais que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l'extrême droite", a-t-il reconnu. "Et je veux ici les remercier et leur dire que j'ai conscience que ce vote m'oblige pour les années à venir".
Il a aussi promis de "trouver une réponse" pour ceux dont "la colère et les désaccords les ont conduits à voter" pour Marine Le Pen.
La carte des résultats du scrutin de dimanche dessine deux France. L'une a voté Emmanuel Macron: les grandes métropoles, les classes moyennes supérieures et les retraités. Et l'autre, celle qui a choisi Marine Le Pen, plus populaire, qui se sent souvent exclue, particulièrement dans le nord-est et le pourtour méditerranéen.
Avec plus de 60% de voix, Marine Le Pen a par ailleurs réalisé des scores historiques en Outre-mer, notamment aux Antilles, en Guyane, à la Réunion et à Mayotte (59,10%) sur fond de défiance envers les autorités ou de contestation antipass sanitaire.
Sept semaines exactement vont s'écouler jusqu'au premier tour des législatives, le 12 juin, à nouveau qualifié dimanche soir de "troisième tour" par le dirigeant de LFI Jean-Luc Mélenchon et par Jordan Bardella, le président du Rassemblement national.
- "Un contre-pouvoir fort" -
Marine Le Pen a choisi dimanche de voir dans son score inédit "une éclatante victoire" et la manifestation du "souhait" des Français d'"un contre-pouvoir fort à Emmanuel Macron", avant de lancer "la grande bataille électorale des législatives".
L'enjeu, pour le Rassemblement national, sera de dépasser le statut d'un parti contestataire qui, comme l'avance le politologue Jean-Yves Camus, "recueille un pourcentage considérable de voix, infuse dans la société mais n'arrivera jamais au pouvoir parce qu'il n'a pas d'alliés". Le RN compte six députés seulement dans la législature qui s'achève.
Eric Zemmour, lui, appelle "le bloc national" à s'unir mais ne peut s'empêcher de relever, cinglant, que c'est "la huitième fois que la défaite frappe le nom de Le Pen".
A gauche, Jean-Luc Mélenchon, fort de ses près de 22% au premier tour, a pilonné dimanche un président selon lui "le plus mal élu de la Ve République", et appelé à la mobilisation, car "le troisième tour commence ce soir".
A l'étranger, c'est un soulagement pour les partenaires de Paris: la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s'est réjouie de "continuer l'excellente coopération" avec la France, le chancelier allemand Olaf Scholz a salué "un signal fort en faveur de l'Europe". Le Premier ministre britannique Boris Johnson s'est dit "heureux de continuer à travailler ensemble".
"Vers une Europe forte et unie!", a déclaré de son côté le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a félicité Emmanuel Macron, tandis que le président américain Joe Biden s'est dit "impatient de poursuivre" la coopération avec Paris pour "défendre la démocratie".
(O.Agard--LPdF)