Ukraine: de nouveaux corps torturés retrouvés à Boutcha, l'Est pilonné par les Russes
La police ukrainienne a annoncé samedi la découverte d'une nouvelle fosse commune avec les corps de trois hommes aux mains liées, torturés puis exécutés près de Boutcha, petite ville près de Kiev devenue le symbole des atrocités imputées à la Russie, dont les forces continuaient de pilonner l'est du pays et à y gagner petit à petit du terrain.
Sortant de la réserve qui est habituellement le lot des militaires, le porte-parole du Pentagone, John Kirby, s'était publiquement interrogé la veille sur la "dépravation" du président russe Vladimir Poutine, avouant qu'il était "difficile de regarder certaines images" d'atrocités commises sur les civils ukrainiens.
"Les victimes ont été torturées pendant longtemps (...) Finalement, chacun d'eux a reçu une balle dans la tempe", a indiqué samedi dans un communiqué le chef de la police de la région de Kiev, Andriï Nebytov, à propos des trois corps retrouvés dans une fosse la veille à Myrotske, un village proche de Boutcha.
"Les victimes avaient les mains liées, des vêtements autour du visage pour qu'ils ne voient rien et certains avaient des baillons dans la bouche", a-t-il ajouté, indiquant que les corps portaient des traces de torture.
Des survivants de l'occupation de Boutcha en mars par les forces russes qui tentaient en vain de prendre Kiev avaient raconté cette semaine à l'AFP les prisonniers à genoux les mains liées derrière le dos, les exécutions sommaires et les mares de sang dans les maisons.
Ceux qui ont vu "s'en souviendront pour des centaines d'années", avait dit Viktor Chatylo, un habitant de la rue Iablounska, où l'AFP avait constaté, le 2 avril, la présence d'une vingtaine de cadavres de civils après le départ des forces russes.
- "Personne ne sait combien" -
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a chiffré à 900 vendredi, dans un entretien avec la presse polonaise, le nombre de corps découverts dans la zone de Boutcha.
Les soldats russes ayant brûlé et enterré des corps, "personne ne sait combien de gens ont péri", a-t-il ajouté.
Le parquet ukrainien a d'ores et déjà annoncé l'inculpation de dix soldats russes, le recensement de plus de 8.000 crimes de guerre en Ukraine, et le secrétaire genéral de l'ONU, Antonio Guterres, qui s'est rendu à Boutcha jeudi, a exhorté Moscou à "coopérer" avec l'enquête de la Cour pénale internationale.
Mais Moscou a nié toute responsabilité et parlé d'une "mise en scène". L'armée russe a été jusqu'à frapper Kiev alors que M. Guterres s'y trouvait, tuant une journaliste et déclenchant un concert de protestations internationales.
Le président français Emmanuel Macron a fait savoir samedi, après un entretien téléphonique avec son homologue ukrainien, que se poursuivrait "la mission d’experts français contribuant au recueil de preuves pour lutter contre l’impunité et permettre le travail de la justice internationale relatif aux crimes commis dans le cadre de l’agression russe".
Il a ajouté que la France allait "renforcer" ses envois de matériel militaire à l'Ukraine - notamment des canons longue portée - pour "rétablir la souveraineté et l’intégrité territoriale de l'Ukraine".
Sur le terrain, après avoir mis en échec l'armée russe dans son offensive lancée le 24 février sur Kiev, les forces ukrainiennes peinent désormais à contenir la poussée dans l'est du pays d'une armée en supériorité numérique et pour l'instant mieux armée, qui cherche à les prendre en étau depuis le nord et le sud.
Volodymyr Zelensky a notamment reconnu vendredi soir que la situation dans la région de Kharkiv, deuxième ville du pays près de la frontière russe, était "difficile".
De violentes explosions ont été entendues dans la nuit de vendredi dans la ville, pilonnée depuis des semaines par l'artillerie russe. Les bombardements avaient fait un mort et plusieurs blessés vendredi.
"Si c'était une guerre d'infanterie contre infanterie, on aurait des chances. Mais dans ce secteur, c'est d'abord une guerre d'artillerie et on n'en a pas assez", a dit à l'AFP "Viking", un sergent-chef de 27 ans qui s'est replié de Kreminna, ville de l'est prise par les Russes le 18 avril.
Les Occidentaux, dont les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, ont promis des centaines d'obusiers aux Ukrainiens, mais le temps presse.
- Les objectifs "seront atteints" -
Tous les objectifs de l'"opération militaire spéciale" - terme utilisé par le Kremlin pour cette guerre - "seront atteints en dépit de l'obstruction de nos adversaires", a affirmé le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov dans un entretien avec l'agence officielle chinoise Chine nouvelle publié samedi.
Il a appelé les Occidentaux à cesser leurs livraisons d'armes à l'Ukraine "s'ils sont vraiment intéressés à résoudre la crise".
L'armée ukrainienne réussi cependant a remporter des succès "tactiques", a souligné Volodymyr Zelensky, comme à Rouska Lozova, un village repris au nord de Kharkiv, d'où les forces russes pilonnaient la ville. Plus de 600 habitants ont été évacués du village, occupé depuis deux mois, selon le ministère ukrainien de la Défense.
L'Ukraine s'est aussi autorisée à frapper des objectifs stratégiques en territoire russe.
Le gouverneur de la région russe de Briansk, au nord-est de l'Ukraine, Alexandre Bogomaz, a ainsi annoncé sur Telegram que la défense aérienne avait "détecté un avion des forces armées ukrainiennes" samedi à 6h50 locales, et que deux obus avaient endommagé des installations pétrolières.
Plusieurs réserves de carburant en territoire russe ont été la cible d'intrusions apparentes des forces ukrainiennes ces dernières semaines, même si Kiev refuse de confirmer son implication.
Dans les régions de Donetsk et Lougansk, dans l'est de l'Ukraine, 14 attaques lancées par les forces russes ont aussi été repoussées au cours des dernières 24 heures, a affirmé samedi l'état-major des forces ukrainiennes.
- Une offensive plus longue -
Un haut responsable du Pentagone a relevé vendredi que si les forces russes étaient "loin d'avoir fait la jonction" des troupes entrées par la région de Kharkiv, au nord du Donbass, avec celles venues du sud du pays pour prendre en tenaille les forces ukrainiennes déployées sur la ligne de front autour des zones séparatistes de Donetsk et Lougansk, elles continuaient "de créer les conditions d'une offensive soutenue, plus vaste et plus longue".
À Marioupol, grand ville portuaire du sud-est, une opération d'évacuation de civils prévue vendredi n'a pas eu lieu.
Denis Pushilin, chef de la région séparatiste orientale de Donetsk, a accusé les forces ukrainiennes "d'agir comme des terroristes purs et simples" et de détenir des civils en otages dans le complexe métallurgique d'Azovstal.
Plusieurs centaines de militaires et de civils ukrainiens sont retranchés dans des galeries souterraines à Azovstal.
L'AFP avait pu entendre vendredi matin et jusqu'au milieu de l'après-midi des bombardements nourris à Azovstal, lors d'un voyage de presse organisé à Marioupol par l'armée russe.
Sur le front diplomatique, alors que le président russe a été invité comme son homologue ukrainien au sommet du G20 prévu en novembre en Indonésie, les Etats-Unis ont dit refuser de traiter avec Vladimir Poutine "comme si de rien n'était".
(V.Castillon--LPdF)