Doliprane va passer sous contrôle américain, la production toujours en grève
Le Doliprane, médicament le plus vendu en France, va pouvoir passer sous contrôle du fonds d'investissement américain CD&R: le groupe pharmaceutique Sanofi a formalisé lundi son choix de lui céder 50% de sa filiale Opella qui produit l'antalgique, une opération dans laquelle l'Etat dit avoir obtenu des garanties "extrêmement fortes".
"Sanofi et CD&R sont entrés en négociations exclusives pour la cession et l'acquisition potentielles d'une participation de contrôle de 50% dans Opella", a confirmé le groupe français, en soulignant que l'offre de CD&R est "ferme et entièrement financée".
Ces informations ont entraîné l'annonce de la suspension de la grève, en cours depuis jeudi, par les syndicats CGT et CFDT de Sanofi, mais pas d'Opella.
La fédération chimie-énergie de la CFDT appelle "à suspendre temporairement la mobilisation, tout en restant très attentive, vigilante et mobilisée dans les négociations exclusives" entre le géant pharmaceutique et le fonds d'investissement américain CD&R.
Devant le site de Lisieux, dédié à la fabrication du Doliprane, la mobilisation se poursuit néanmoins.
- "Culture du patient" -
"Ici la grève continue, ces annonces ne répondent pas à nos attentes, comme dit au ministre, on attend des actions concrètes", a déclaré à l'AFP Frédéric Debève, délégué syndical CGT chez Opella à Lisieux.
"Nous n'avons aucune information de la direction nationale, on apprend tout par voie de presse, il faut arrêter de nous prendre pour des imbéciles", s'est emporté M. Debève, "ici on a la culture du patient, on a été en première ligne pendant le Covid, on a le remerciement aujourd'hui par des gens qui ont la culture du client".
"On n'a aucun engagement écrit", a également déclaré Adrien Mekhnache, délégué CFDT du site de production de Compiègne (Oise) où la grève demeurait également dans la matinée, il craint que l'engagement ne courre que sur quelques années, "du très court terme, pas du tout suffisant".
La valorisation d'Opella est basée sur une valeur d'entreprise d'environ 16 milliards d'euros, détaille le géant pharmaceutique, un an après avoir annoncé son intention de se séparer de sa filiale de médicaments sans ordonnance, vitamines, minéraux et compléments alimentaires.
"Quand Bpifrance est présent au conseil d'administration de l'entreprise, nous sommes vocaux, actifs, parfois activistes, si nécessaire, si la gouvernance dérape", a-t-il mis en garde.
- Mettre la pression -
Une trentaine de salariés ont accueilli en début d'après-midi, sous la pluie, la présidente de la commission des finances de l'Assemblée nationale, la députée LFI Aurélie Trouvé, devant l'usine de Lisieux.
"Entrer au capital à hauteur de 2% c’est dérisoire, il s’agit d’une défaillance grave de l’Etat, entrer au capital d’Opella c’est de l’argent dilapidé : soit on entre vraiment pour être majoritaire, soit pas du tout", a estimé Mme Trouvé.
"On va mettre la pression au ministre de l'Economie pendant les questions au gouvernement, et à la présidente de Sanofi France lors de son audition jeudi en commission", a-t-elle promis.
Sanofi devrait rester actionnaire à hauteur d'environ 48% pour l'instant.
Grâce à cette opération, le groupe pourra "se concentrer encore davantage" sur les médicaments et vaccins innovants pour devenir "un pur acteur" biopharmaceutique, "leader mondial en immunologie", selon le directeur général de Sanofi, Paul Hudson lors d'un point presse.
L'acquéreur potentiel CD&R, qui investit en France depuis une quinzaine d'années (notamment dans Rexel, Spie, Socotec, But et Conforama), ambitionne "d'accélérer" la croissance d'Opella, qui détient 115 marques dans le monde et compte 11.000 collaborateurs dans environ 100 pays.
Ce projet de cession suscite une vive émotion au sein de l'opinion publique et de la classe politique parce qu'il concerne un médicament de base utilisé par un grand nombre de Français pour soulager la douleur et la fièvre.
- "Régime de sanctions" -
L'accord tripartite entre l'Etat, Sanofi et CD&R, annoncé dimanche soir par le gouvernement, comprend "la pérennité des sites de production de Lisieux et Compiègne", le maintien du siège et des activités de recherche et développement en France, la protection de l'emploi.
Cet accord est "extrêmement exigeant" avec des "garanties extrêmement fortes" a souligné le ministre de l'économie Antoine Armand, martelant que l'Etat restait sur ses gardes sans "aucune forme de naïveté".
L'accord garantit "le maintien des volumes minimaux de production en France pour les produits sensibles d'Opella", à savoir le Doliprane (paracétamol), le Lanzor (contre les troubles digestifs) et l'Aspegic (aspirine), ont précisé MM. Armand et Ferracci.
Parmi les engagements figure un objectif d'investissement en France, fixé à 70 millions d'euros sur cinq ans en cumulé.
L'accord prévoit des sanctions financières "pouvant s'élever jusqu'à 40 millions d'euros" en cas d'arrêt de la production sur les deux sites français d'Opella et de "100.000 euros par emploi supprimé par licenciement économique contraint".
Une pénalité pouvant atteindre 100 millions d'euros est stipulée en cas de non-respect du "maintien de l'approvisionnement d'Opella auprès de fournisseurs et sous-traitants français" tels que le chimiste Seqens.
"40 millions pour stopper une délocalisation ça ne sert à rien si cette délocalisation rapporte 3 ou 4 milliards à l’entreprise", a dénoncé Aurélie Trouvé.
La finalisation de la transaction est prévue au plus tôt au deuxième trimestre 2025.
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(F.Moulin--LPdF)