Au procès du 13-Novembre: "On ne peut pas tuer le rock'n'roll"
Le chanteur du groupe américain Eagles of Death Metal, Jesse Hughes, a raconté mardi devant la cour d'assises de Paris la soirée d'horreur vécue le 13 novembre 2015 dans la salle du Bataclan attaquée par des jihadistes, soulignant qu'elle avait "changé (sa) vie à jamais".
Rescapés ou proches des victimes du Bataclan (90 morts) s'étaient déplacés en nombre à la cour d'assises spéciale de Paris pour entendre le chanteur californien et l'ex-guitariste du groupe, Eden Galindo, tous deux parties civiles au procès, qui reprenait après une semaine de suspension due au Covid d'un des accusés.
D'une voix forte et claire, le chanteur a rappelé comment, "au milieu du concert", il a entendu des tirs. "Venant d'une région désertique en Californie, le son des coups de feu m'est très familier. Je savais ce qui allait arriver, je sentais la mort se rapprocher de moi".
Sa voix se noue. Le chanteur de 49 ans raconte la panique, la volonté de fuir au plus vite la salle de concert avec sa compagne et le guitariste Eden Galindo.
"Un ange nommé du nom d'Arthur nous a mis dans un taxi et envoyés au commissariat", se souvient-il.
Cet "Arthur" c'est Arthur Dénouveaux, devenu le président de l’association Life for Paris qui rassemble les victimes des attentats du 13-Novembre.
Au commissariat, les deux musiciens découvrent des dizaines de blessés couverts de sang. Ils apprennent aussi le décès d'un des leurs, le Britannique Nick Alexander, qui s'occupait du merchandising du groupe.
Ce soir-là, "90 de mes amis ont été tués de manière haineuse devant nous", poursuit Jesse Hughes, les mains crispés sur le pupitre, regardant droit dans les yeux les membres de la cour.
"Tous ceux qui étaient au concert ce soir-là étaient mes amis".
Le chanteur raconte comment il a hésité longtemps ensuite à remonter sur scène. "Je ne savais pas si j’aurais la force de revenir, parce que je pensais que j’étais comme le fromage qui allait attirer les souris".
"Après les attaques, je me suis posé beaucoup de questions, j’étais un peu perdu, je me suis appuyé sur des amis, notamment en France pour continuer à aller de l’avant. Cette tragédie a pu être transformée en un flambeau de lumière", insiste-t-il.
- "Le mal n'a pas vaincu" -
"Le mal n'a pas vaincu", soutient le chanteur, qui assure avoir "pardonné" aux "pauvres âmes qui ont commis ces actes".
"Je prie pour eux et pour leur âme, que la lumière de notre Seigneur jaillisse sur eux", dit-il avant de conclure avec des paroles du chanteur Ozzy Osbourne: "you can't kill rock'n'roll" ("on ne peut pas tuer le rock'n'roll").
Avant lui, Eden Galindo, 52 ans, également tout de noir vêtu, avait raconté la joie émanant du concert avant l'attaque.
"Nous étions en tournée à Paris, c'était un super concert, tout se passait bien, tout le monde dansait. C’était +a great show+", se rappelle-t-il.
Et puis arrive "le bruit sourd" des balles tirées par des armes automatiques. Il pense d'abord à un problème de sono avant de voir Jesse Hughes courir vers lui. "Des gens tirent... On a couru... Nous pensions que ça allait s'arrêter, mais ça continuait".
"Après tout ça, c'était très difficile de faire les choses normalement. Je me sentais comme brisé", dit le guitariste, tête baissée. "Je ne serai plus jamais le même après cette nuit-là".
Eden Galindo tient à dire un mot aux familles des victimes. "Je pense à elles tous les jours et je prie pour elles".
En quittant la salle d'audience, Jesse Hughes prend dans ses bras plusieurs parties civiles. Certains pleurent. Jesse Hughes aussi.
Après eux, une vingtaine de femmes et d'hommes, rescapés du Bataclan, ont raconté leur expérience traumatisante et leur souffrance persistante plus de six ans après les attaques qui ont causé la mort de 130 personnes à Paris et Saint-Denis.
Les auditions des parties civiles doivent se poursuivre jusqu'à vendredi. Les avocats des parties civiles commenceront leurs plaidoiries lundi.
Le verdict est attendu le 29 juin.
(F.Moulin--LPdF)