A Kharkiv, l'inconfort rassurant du métro difficile à quitter pour les habitants
Teints blafards. Froid et courants d'air permanents. Couvertures posées à même le carrelage. Toilettes sous-dimensionnées... Pourtant, ceux qui s'étaient réfugiés dans le métro de Kharkiv pour se protéger de l'attaque russe hésitent à sortir, malgré le calme relatif et les appels de la mairie.
"Nous nous sommes surnommés les taupes parce qu'on vit sous-terre", plaisante Kateryna Talpa, la directrice d'un centre d'appels, qui vit depuis le début de l'offensive russe, le 24 février, dans la station de métro "Héros du travail", dans le quartier Saltivska, un des plus touchés par le pilonnage de la deuxième ville d'Ukraine.
Bonnet sur la tête, peau très blanche, Kateryna, 35 ans, avoue sans conteste que la vie est difficile sur ce quai de métro. "On est fatigués. Vous pouvez voir le peu de confort que nous avons", soupire-t-elle en désignant des matelas installés par terre, les couvertures et quelques victuailles dans un carton.
Son mari Iouri et elle ont pris leurs habitudes dans cette station décorée dans le plus pur style soviétique avec des bronzes d'art réaliste et notamment une sculpture de Lénine. Leurs deux chats Marek et Sima, attachés avec une laisse, sont tranquilles : "il se sont aussi habitués" après des premiers jours difficiles.
Quelque 200 personnes dorment encore tous les soirs dans cette station qui en a accueilli jusqu'à 2.000, des réfugiés dormant partout, même dans les wagons. L'odeur et l'humidité dans l'air étaient alors difficiles à supporter.
- "La guerre n'est pas finie" -
"Je n'avais jamais été malade auparavant et ici j'ai attrapé une bronchite pendant un mois", se souvient Kateryna.
Pourtant, elle refuse pour le moment de partir alors que l'étau autour de Kharkiv s'est desserré et que les Russes semblent avoir déplacé leurs troupes de la région pour se concentrer sur le Sud.
"Les Russes n'ont pas été repoussés au point que nous soyons tranquilles. On est toujours à portée (de canon ou de missiles). La guerre n'est pas finie", analyse-t-elle.
"J'ai peur de retourner (dans ma maison). Kharkiv a encore été pilonnée hier (mercredi soir). La journée, on entend les détonations. Des voisins qui ont essayé de dormir dans leur maison sont revenus dans le métro", assure Kateryna.
"Il n'y a rien de plus sûr que le métro. Même les caves des immeubles ne sont pas sûres", conclut-elle.
Il est vrai que le réseau a été prévu pour se transformer en abri au moment de sa construction, convient Ioulia Fedianina, 33 ans, qui souligne que même si les Ukrainiens n'étaient pas "prêts psychologiquement à la guerre", les structures du métro destinées à faire face à des bombardements étaient "vérifiées" de manière régulière.
"Il y a des gens qui ne veulent pas partir. Certains ne sont pas sortis du métro pendant les premiers mois. Ils ne se sentent en sûreté qu'ici. Mais, il faut que les gens sortent pour qu'on puisse ré-utiliser le métro. Il ne sera possible de déplacer certaines personnes qu'avec une aide psychologique", estime-t-elle.
- "Pas forcer les gens" -
Guennadi, un retraité de 72 ans qui ne veut pas donner son nom de famille, fait partie de ceux qui ne souhaitent pas s'en aller.
"Il n'y pas d'endroits sûrs en Ukraine. C'est calme aujourd'hui, mais personne ne sait ce qui se passera demain. Personne na jamais été blessé dans le métro, mais dehors des gens meurent. On veut sauver nos vies", affirme le retraité qui séjourne avec sa femme dans la station depuis le 24 février.
Depuis peu, le couple sort pour une "promenade matinale quand il n'y pas d'obus". Sa maison a été détruite. "Je suis un homme, mais quand je l'ai vue, j'ai eu envie de pleurer. Nous n’avons pas de famille chez qui aller. Qu'ai-je fait pour mériter ça ?", raconte Guennadi.
"On ne veut pas forcer les gens à partir, mais nous voulons faire redémarrer le métro dans les deux semaines", lâche le maire de Kharkiv, Igor Terekhov. "On travaille pour reloger les gens".
Larissa Nistirenko, une employée de 54 ans, fait partie des personnes relogées dans une cité étudiante de l'arrondissement de Slobidsky (sud), qui n'a pas été touché par les tirs.
"Dans le métro, c'était dur. Le froid, pas de douche... Ici, on a des lits, des matelas, des douches, des toilettes propres, une cuisine, de la nourriture", dit-elle en souriant dans la chambre qu'elle partage avec sa fille et son petit-fils.
Mais cette femme, traumatisée, s'effondre en larmes quelques instants plus tard en pensant à son trois-pièces détruits. "On n'a plus rien. On n'a nulle part où aller. Ma maison est détruite".
(V.Blanchet--LPdF)