Le Vendée Globe solidaire d'un "marin des prés" de la Loire
Le vent fraîchit et le Cap de Bonne-Espérance n'est "plus très loin". Toutes voiles dehors, Bernard Poitau n'a pourtant pas avancé d'un pouce depuis son départ en solitaire sur le Vendée Globe, une aventure qu'il a choisi de vivre, à 71 ans, au milieu de son pré.
Cela fait près d'un mois qu'il navigue à bord de son voilier de fortune bleu roi, échoué sur les hauteurs de Saint-Julien-Molin-Molette, un village de la Loire. "La grosse angoisse de mon voisin, c'est de m'y retrouver mort", lâche le retraité dans sa barbe blanche.
Pour l'heure, Bernard Poitau se porte comme un charme et le moral, au même titre que la météo indiquée par le baromètre, est "au beau fixe".
Le 10 novembre, c'est du bout des doigts qu'il s'est élancé sur le Vendée Globe via l'application très en vogue Virtual Regatta. À ses côtés, 700.000 concurrents virtuels s'y affrontent en parallèle des 38 vrais skippers encore en lice dans la compétition.
Eux fendent les eaux sur de grands et robustes Imoca, lui sur un modeste Corsaire de bois, rafistolé et long de cinq mètres, qui dans son jardin fait d'ordinaire un fabuleux terrain de jeu pour ses dix petits-enfants.
- "monacal" -
"J'ai rebouché le hublot avec des chambres à air, je suis au sec!", se réjouit Bernard, ciré jaune sur le dos et bottes aux pieds. À l'intérieur, sa cabine exiguë où il passe dorénavant toutes ses nuits, isolée avec de l'aluminium, a des airs de navette spatiale. Le mercure y affiche 11°C, deux fois la température extérieure.
Côté couchette, un duvet, un matelas gonflable, un chauffage d'appoint. Côté pièce à vivre, un micro-ondes, une bouilloire, un point de lumière et un "petit coin de prière pour me reconnecter à l'essentiel": autonomie "rudimentaire", résume Bernard. "On s'y croirait, hein?".
Chaque matin, le réveil sonne à 8H00. Bernard lit, pense, se sustente de conserves et repas lyophilisés, sans oublier d'ajuster son cap toutes les trois heures sur sa tablette, nuit comprise. Un rythme "monacal", dit-il, qui semble parfaitement lui convenir.
Sa maison secondaire en contre bas alimente faiblement son bateau en électricité. Dans la journée, il y fait aussi l'aller-retour pour se laver et se ravitailler, se dégourdit les jambes dans son jardin sur les conseils de son médecin.
Bernard Poitau n'a jamais été marin. Cet ancien fonctionnaire de justice a toujours préféré aux océans les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Ce n'est que durant la période du Covid-19 qu'il découvre l'existence du Vendée Globe, cette course incontournable de plus de 20.000 milles nautiques.
"Une trentaine de pingouins qui faisaient le tour du monde alors que le reste de la planète était confinée avec des masques", se remémore-t-il.
- "pas fou" -
En 2024, quelle mouche l'a donc piqué?
"Non", dit-il, il ne s'est pas inspiré du film de Xavier Beauvois actuellement au cinéma, "La Vallée des fous", où Jean-Paul Rouve campe le rôle d'un passionné de voile, faisant lui aussi la course en ligne dans son voilier de jardin.
Et "je ne suis pas fou" non plus, assure Bernard. "Je défends une cause, je joins l'utile à l'agréable."
Dans sa ville de Saint-Étienne, il vient en aide depuis vingt ans aux demandeurs d'asile grâce à l'association Anticyclone. C'est à eux qu'il dédie cette aventure, afin de leur "donner de la visibilité".
Depuis le 10 novembre, Anticyclone est aussi le nom que porte son bateau. Il espère dans le même temps récolter des fonds grâce à une cagnotte lancée pour l'occasion.
Même s'il y a des jours où "j'ai vraiment froid", d'autres avec "quelques courbatures le matin", Bernard Poitau n'est pas de ceux qui aiment se plaindre. "Vous savez, les demandeurs d'asile ont connu des traversées bien pires. Ce sont eux les héros, pas moi!".
Celui qui se présente comme un "marin des prés" regagnera ses pénates le jour où la ligne d'arrivée du Vendée Globe sera franchie par le ou la vainqueur(e) de l'édition.
Il n'aura pas vu sa famille depuis le jour où il a levé l'ancre. "Ma femme m'attend, comme toutes les femmes de marins!", plaisante-t-il. Puis il est temps de reprendre la barre: "Salutations terromarines".
(R.Dupont--LPdF)