Dos au mur, France et Européens proches de l'heure de vérité au Mali
Face à une junte hostile qui vient d'expulser son ambassadeur, la France s'est donné deux semaines pour trancher sur l'avenir de sa présence militaire au Mali, après neuf ans de lutte antijihadiste à laquelle elle avait fini par réussir à associer des partenaires européens.
Les pays partenaires du groupement européen de forces spéciales Takuba, créé en 2020 à l'initiative de la France pour partager le fardeau, vont travailler "d'ici la mi-février" pour "prévoir une adaptation" de leur dispositif au Mali au regard de l'"isolement progressif" de ce pays, a annoncé mardi le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal.
"La situation ne peut pas rester en l'état. D'ici la mi-février, on va travailler avec nos partenaires pour voir quelle est l'évolution de notre présence sur place" et "prévoir une adaptation", a-t-il déclaré sur Franceinfo au lendemain de l'annonce de l'expulsion de l'ambassadeur de France.
"L'expulsion injustifiée de l'ambassadeur français mène à une impasse", a réagi mardi Berlin, qui compte des troupes allemandes au sein de la mission de formation de l'Union européenne (UE) et de la mission de l'ONU (Minusma).
Cette décision fait culminer les tensions entre Bamako et l'ancienne puissance coloniale, qui compte environ 4.000 militaires au Sahel, dont plus de la moitié au Mali, malgré un allègement du dispositif entamé l'été dernier, partiellement compensé par l'arrivée des renforts européens de Takuba.
De fait, les discussions entre Européens sur la viabilité de leur présence au Mali vont déjà bon train en coulisses depuis qu'un contingent de force spéciales danoises destiné à la force Takuba a dû quitter le pays sur ordre de la junte.
Symbole d'une Europe de la défense chère à Emmanuel Macron, ce groupement de 800 militaires est désormais dépendant du bon vouloir de Bamako pour exister. La Norvège a d'ailleurs annoncé mardi qu'elle renonçait à envoyer un petit contingent, faute d'accord avec la junte malienne.
- Casse-tête -
Les relations bilatérales n'ont cessé de se détériorer depuis que des colonels ont pris par la force en août 2020 la tête du Mali, plongé depuis 2012 dans une profonde crise sécuritaire et politique. Peu pressés de rendre le pouvoir aux civils, les putschistes sont entrés ces derniers mois en résistance face à une grande partie de la communauté internationale, dont ses voisins, et soufflent sur les braises d'un sentiment antifrançais régional latent.
La France et ses alliés européens s'alarment aussi de l'appel fait, selon eux, par la junte aux mercenaires de la sulfureuse société de mercenaires russe Wagner, réputée proche du Kremlin. La junte persiste à démentir.
"L'isolement du Mali est tel aujourd'hui qu'il a comme seuls partenaires les mercenaires de Wagner", a lancé mardi le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, sous un feu de questions de parlementaires quant à un possible retrait français du Mali.
En pleine présidence française de l'Union européenne et à trois mois de l'élection présidentielle française, à laquelle Emmanuel Macron va sans doute se représenter, un retrait forcé du Mali après neuf ans d'engagement au prix de 48 morts français (53 au Sahel) constituerait un cuisant revers. Mais les entraves répétées de la junte rendent ce scénario de plus en plus difficile à éviter, d'après de nombreux observateurs.
Le désengagement des militaires français prendrait pour autant de très longs mois, selon l'état-major. La relocalisation de Takuba, elle, n'est pas envisageable dans sa forme actuelle, ni au Niger qui ne souhaite pas accueillir cette task force, de source proche du dossier, ni au Burkina Faso, qui vient de connaître un coup d'Etat.
Le vide laissé par les troupes ne manquerait pas de profiter aux mouvements jihadistes affiliés, selon les zones, à Al-Qaïda ou au groupe Etat islamique, qui ont conservé un fort pouvoir de nuisance malgré l'élimination de nombreux chefs.
Alors que les violences se sont propagées au Burkina Faso et au Niger, ainsi que dans le nord de la Côte d'Ivoire, du Bénin et du Ghana, la France conserve en tout cas la ferme intention de continuer à lutter contre la propagation du jihadisme dans la région. Paris souhaite y renforcer ses activités de coopération et fournir des capacités-clés aux état-majors locaux, selon des sources concordantes.
Si Takuba devait être abandonné au Mali, cette force ne serait pas reproduite à l'identique ailleurs. Mais son principe d'accompagnement au combat des armées locales par de petits contingents de forces spéciales européennes pourrait être proposé à d'autres pays de la région.
(Y.Rousseau--LPdF)