

Turquie: le pouvoir tente d'éteindre la contestation
Les autorités turques, visées par une fronde d'une ampleur inédite depuis douze ans, ont ciblé jeudi des médias d'opposition pour tenter d'éteindre la contestation déclenchée par l'arrestation du maire d'Istanbul, principal rival du président Recep Tayyip Erdogan.
Le Haut conseil turc de l'audiovisuel a condamné une chaîne critique du pouvoir Sözcü TV à dix jours d'interruption de programmes pour "incitation à la haine et à l'hostilité", et a annoncé en avoir sanctionné trois autres.
Les autorités ont également expulsé jeudi un journaliste de la BBC venu couvrir les manifestations dans le pays, l'accusant de représenter "une menace pour l'ordre public".
Un dixième, le photographe de l'Agence France-Presse Yasin Akgül, devait sortir de prison dans la journée, bien que les charges pesant contre lui n'aient pas été levées, selon son avocat.
- 1.879 arrestations -
Le mouvement de contestation entamé le 19 mars, le plus important depuis le mouvement de Gezi parti de la place Taksim d'Istanbul en 2013, est porté en grande partie par la jeunesse, qui continue de se mobiliser.
Dans la capitale Ankara, des étudiants en médecine et certains de leurs professeurs ont de nouveau manifesté jeudi en dénonçant la politique du gouvernement.
À Istanbul, où la contestation est la plus vive, des étudiants doivent aussi descendre dans les rues en fin de journée, après une soirée plus calme que les jours précédents mercredi.
Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), principale force de l'opposition, qui conviait jusque-là chaque soir des dizaines de milliers de personnes à se rassembler devant l'hôtel de ville d'Istanbul, a lui cessé de le faire, appelant à un très large rassemblement samedi à un autre endroit de la ville.
Mercredi, le conseil municipal d'Istanbul a élu un maire par intérim, Nuri Aslan, également membre du CHP, en remplacement de M. Imamoglu, incarcéré pour "corruption", semblant écarter l'hypothèse de la nomination par l'Etat d'un administrateur à la tête de la capitale économique turque.
Le président Erdogan, qui a durci le ton contre l'opposition, suggérant que de nouvelles enquêtes pour corruption pourraient s'abattre sur elle, a répété qu'il ne céderait pas à la "terreur de la rue".
Les autorités, qui interdisent toujours tout rassemblement à Izmir et Ankara, ont annoncé jeudi avoir arrêté 1.879 personnes depuis le début de la vague de contestation.
Parmi elles, 260 ont été incarcérées ou étaient en cours d'incarcération, tandis que plus de 950 ont été remises en liberté, dont près de la moitié sous contrôle judiciaire.
- "Mentalité de censeur" -
Dénonçant les sanctions visant les chaînes de télévision critiques du gouvernement islamo-conservateur, au pouvoir depuis 2002, Deniz Yücel, porte-parole du CHP, a fustigé "une mentalité de censeur" inspirée selon lui de Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande du Troisième Reich.
Les arrestation des journalistes turcs ont elles suscité des condamnations internationales.
"Le caractère systématique des poursuites contre les figures de l'opposition, de la société civile, les atteintes à la liberté de s'informer, de rassembler, l'arrestation et la mise en détention du maire d'Istanbul constituent de manière très claire des atteintes et des agressions qu'on ne peut que regretter", a déploré jeudi le président français Emmanuel Macron.
L'ONG Reporters sans Frontières (RSF), qui classe la Turquie à la 158e place sur 180 de son classement de la liberté de la presse, s'est dite "soulagée" jeudi par l'annonce de leur libération.
Lors d'une rencontre avec la presse à Istanbul, le ministre turc de la Justice, Yilmaz Tunç, a affirmé que la justice du pays était indépendante et impartiale, répétant que la Turquie est un "Etat de droit".
L'arrestation de M. Imamoglu n'est pas "politique", a-t-il assuré.
(N.Lambert--LPdF)