Colombie/présidentielle: un dernier round au finish et pour séduire
L'un se présente comme un homme de gauche simple et pondéré, l'autre comme un millionnaire au franc parler qui ne trahira jamais: Gustavo Petro et son adversaire Rodolfo Hernandez entendent tous deux jouer sur les émotions de l'électorat pour remporter le second tour de la présidentielle colombienne le 19 juin.
Le sénateur de gauche de 62 ans et son outsider de 77 ans, qualifié surprise du 1er tour sans idéologie ni parti, sont à quasi égalité dans les sondages à une semaine du scrutin.
Tous deux sont des figures anti-establishment, conséquence de la lassitude exprimée dans les urnes à l'égard des partis traditionnels (de droite en particulier), mis hors course et qui monopolisent le pouvoir depuis deux siècles.
A l'approche du second tour, les deux camps tentent de convaincre les abstentionnistes (45%, principalement des jeunes), séduire les femmes et les derniers indécis.
Finis les discours publics, les débats et le fair-play. Le dernier round entre Petro et Hernandez se joue sur le terrain des émotions et du discrédit du rival.
- Petro, un "homme simple" -
Pour sa campagne du 1er tour, Petro a exploité ses talents d'orateur sur les 100 places publiques qu'il a écumées un peu partout dans le pays.
"Quand il monte sur une estrade et qu'il a parlé pendant plus d'une heure avec le peuple, ce qu'il fait, c'est approfondir son modèle économique, (...) et ça peut devenir un peu compliqué", reconnaît Alfonso Prada, l'un de ses conseillers et porte-parole de campagne.
Face à la montée météorique d'Hernandez, son langage et ses manières simples qui plaisent à beaucoup de Colombiens, Petro a changé sa stratégie de communication.
"Notre défaut a été de ne pas avoir été capables de parler plus simplement avec les gens", décrypte M. Prada dans un entretien avec l'AFP.
Le candidat de gauche a quitté les grands meetings pour s'afficher auprès du peuple, afin précisément d'adoucir l'image du politicien rigide et intellectuel de la première partie de la course. Sur la barque d'un pêcheur, dans la cuisine d'une mère de famille, au côté de mineurs, d'artisans, ou d'un paysan dans un champ de canne à sucre.
"Nous avons un Gustavo Petro (...) qui parle beaucoup plus directement et simplement avec les gens", se félicite le stratège.
Cependant, cette campagne 2.0 a été fortement perturbée en fin de semaine par la fuite d'enregistrements pirate de réunions stratégiques du premier cercle de Petro, sombre affaire d'espionnage qui fait depuis lors la une de la presse sous le titre de "Petrovideos".
Il est question dans ces réunions de "discréditer", y compris par la diffamation, ses adversaires, des déclarations qui contredisent singulièrement le narratif de Petro sur une campagne respectueuse et ses promesses de mettre en oeuvre une "politique de l'amour".
- Hernandez, un "homme vrai" -
Surnommé le roi de TikTok, Hernandez a structuré tout son discours autour de la lutte contre la corruption et les "voleurs". Avec un paradoxe: il est lui-même en délicatesse avec la justice pour un contrat irrégulier signé pendant son mandat de maire de la grande ville de Bucaramanga (2016-2019).
Il refuse tout débat direct, limite les interviews et a annulé ses apparitions publiques la semaine dernière, après la diffusion des "Petrovidéos", disant "craindre le pire" de la "bande criminelle" de Petro, notamment un mystérieux complot d'assassinat au "couteau".
"Rodolfo est sans filtre. L'une des forces de sa stratégie est de se montrer tel qu'il est (...), avec les gaffes qu'il fait parfois à cause de son franc-parler, mais aussi sa liberté de dire les choses", explique Angel Becassino, son principal conseiller de campagne.
Dans la dernière ligne droite, il a tenté de renforcer son personnage d'homme d'affaires pragmatique qui s'est fait seul, à force de travail, dans le monde de l'immobilier, sans compromission avec les vieux politiciens. Ces derniers, la droite en tête, lui ont pourtant exprimé immédiatement leur soutien pour le second tour.
Etrange mélange de Donald Trump, des présidents salvadoriens Nayib Bukele et mexicain Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), Hernandez a déjà annoncé qu'il copierait les conférences de presse quotidiennes de ce dernier et a promis de clouer publiquement au pilori les membres du Congrès qui rejetteraient ses projets.
Avec trois "slogans primaires: ne pas voler, ne pas mentir, ne pas trahir", Hernandez veut résoudre "le manque d'argent, le manque d'emplois et le manque de sécurité", selon son stratège. Face à ses nombreux dérapages verbaux (ses détracteurs l'accusent notamment de sexisme), l'indépendant se veut un homme ordinaire qui, en disant la vérité, peut commettre quelques erreurs.
Sa candidate à la vice-présidence, Marelen Castillo, est aussi montée au créneau pour adoucir l'image d'Hernandez aux yeux des femmes.
Cette campagne pour le second tour "est une version beaucoup plus légère des deux candidats (...) pour essayer de toucher ce public mécontent des deux hommes, ces 5% d'électeurs indécis, avec une stratégie d'émotions plutôt que de propositions", observe Felipe Botero, expert à l'Université des Andes.
(P.Toussaint--LPdF)