Droits TV: le paradoxe des Bleus, champions du monde bientôt sans diffuseur
Qui veut diffuser les Bleus? Détenus par TF1 et M6 jusqu'à fin mars, les droits TV de l'équipe de France de football peinent à séduire un marché limité et peu enclin à casser sa tirelire pour des champions du monde pas si rentables.
En remballant leur matériel, vendredi après France-Côte d'Ivoire (2-1), les équipes de M6 ont dû se demander si la rencontre amicale disputée à Marseille serait leur dernière avec l'équipe de France.
Leurs homologues de TF1 éprouveront peut-être la même sensation mardi à Lille après France-Afrique du Sud, dernier match d'un contrat de co-diffusion en vigueur depuis 2018.
Car pour la suite, rien n'est acté: l'appel d'offres pour les matches de la période 2022/2028 - hors Coupes du monde et Euro, vendus séparément - a été infructueux cet automne et les partenaires de Kylian Mbappé ne savent toujours pas quelle chaîne retransmettra leurs prochaines rencontres, programmées en juin pour la Ligue des nations.
"On peut un peu le regretter. J'ai l'impression qu'on a rempli notre mission avec des partenaires fidèles, TF1 et la 6. Les audiences ont été bonnes, voire très bonnes, et le football français s'est très bien comporté", relevait en fin d'année le président de la Fédération française (FFF) Noël Le Graët dans un entretien avec l'AFP.
- Prestige ne signifie pas rentabilité -
Centralisée par l'UEFA et menée par l'agence marketing CAA Eleven, mandatée par l'instance européenne du football, la procédure a réuni initialement des offres décevantes: avec 2,4 millions d'euros par match offerts aux Bleus selon une source proche du dossier, TF1 et M6 sont restés bien en-deçà des 3,5 millions qu'ils versent actuellement pour chaque rencontre...
Des négociations de gré à gré se sont ouvertes depuis, et la Fédération espère atteindre un montant au moins égal à celui du cycle actuel, quitte à redécouper les lots ou raccourcir la période mise en vente dans un premier temps.
Les Bleus et leurs stars ont-ils subitement perdu leur pouvoir de séduction ? "Même avec l'équipe de France, le foot n'est pas un produit directement rentable pour les chaînes en clair", affirme à l'AFP Philippe Bailly, patron du cabinet de conseil NPA, spécialisé dans les médias. "Il y a certes une partie non négligeable d'image, de prestige et de fidélisation, mais sur des matches à l'enjeu moindre, le public ne se laisse pas tromper et les chaînes non plus".
Le calendrier n'est pas propice aux grandes dépenses, avant la Coupe du monde 2022 prévue en hiver et déjà attribuée à TF1 et beIN Sports: TF1 et M6 sont engagés dans un projet de fusion à l'horizon 2023 qui brouille l'avenir des deux groupes et tire de facto les prix vers le bas.
- Peu d'acteurs -
"Je trouve un peu dommage que l'une des premières mesures d'économie dans le rapprochement à venir entre les deux groupes soit de proposer une somme moins importante qu'auparavant", regrettait Noël Le Graët fin novembre, avant de promettre ces derniers jours des avancées "à la fin du mois de mars" dans une interview à Ouest-France.
Les situations politique - élection présidentielle en France, guerre en Ukraine - et sanitaire sont néanmoins autant de motifs d'inquiétude pour les finances futures de la FFF, qui a récupéré 33,6 millions d'euros de droits TV pour l'équipe de France en 2020/21.
"TF1 et M6 restent dans une année 2022 de convalescence, avec aussi beaucoup d'incertitudes. En cas de période faste, vous pouvez casser la tirelire pour un tel investissement. Quand ce n'est pas le cas, vous faites attention aux dépenses", décrypte Philippe Bailly.
Les Bleus pâtissent aussi des conditions d'attribution de leurs rencontres, considérées comme "d'importance majeure" et réservées aux chaînes en clair, même si un co-diffuseur payant reste envisageable tant qu'un acteur gratuit diffuse tous les matches.
Or les acteurs ne sont pas légion. "Je ne vois pas France TV se lancer dans l'aventure quand elle a ses propres droits sportifs à défendre (Six nations, JO, Roland-Garros...)", estime Philippe Bailly. "Quant aux petites chaînes, on voit mal comment elles rentabiliseront l'investissement".
(N.Lambert--LPdF)