Biniam Girmay offre un "second souffle" au cyclisme érythréen
Révélé dans les années 2010, le cyclisme érythréen connaît un "second souffle" avec Biniam Girmay, candidat à la victoire dans les sprints du Tour d'Italie, estime Michel Thèze, qui a fait connaître les coureurs de ce petit pays de la Corne de l'Afrique.
En remportant Gand-Wevelgem le 27 mars, Girmay, 22 ans, est devenu le premier Africain à remporter une classique. S'il a écrit l'histoire ce jour-là, il est l'héritier d'une filière dont Michel Thèze a été l'un des initiateurs en tant qu'ancien directeur du Centre mondial du cyclisme (CMC), créé par l'Union cycliste internationale pour accompagner les talents des pays émergents.
Ce Français a fait venir en Europe le premier coureur professionnel d'Erythrée, Daniel Teklehaimanot, qui est devenu en 2015 le premier coureur d'Afrique subsaharienne à revêtir le maillot à pois de meilleur grimpeur du Tour de France. Teklehaimanot, 33 ans, a remporté également le classement de la montagne du Dauphiné en 2015 et 2016.
Mais depuis cette "étincelle", ses compatriotes peinaient à s'installer au plus haut niveau. "Je me demandais si le cyclisme érythréen n'était pas un peu en train de s'essouffler", confie Michel Thèze dans un entretien à l'AFP.
La réussite de Biniam Girmay "arrive au meilleur moment, ça va donner un second souffle", estime-t-il. "C'est une confirmation du grand potentiel qui existe là-bas."
- "Pas d'ouverture" -
Michel Thèze avait découvert ce potentiel avec Teklehaimanot lors des Championnats d'Afrique 2008. "L'Érythrée, je ne savais pas trop situer sur la carte", avoue-t-il.
Ce pays coincé entre les hauts plateaux de la Corne de l'Afrique et la mer Rouge vit en quasi-autarcie, sous un régime autoritaire de parti unique, depuis son indépendance de l'Ethiopie en 1993.
"Ca n'a pas été simple de le faire venir. Pour avoir le visa, ça a été des démarches incroyables", se souvient-il.
Teklehaimanot se montre rapidement compétitif. Cinq mois après une opération du coeur, il termine 6e du Tour de l'Avenir, course de référence chez les Espoirs.
En Europe, l'ascension de ce coureur venu de lointaines contrées attire l'attention. Des équipes professionnelles se tournent vers d'autres Erythréens, comme Merhawi Kudus et Natnael Berhane, vainqueur du Tour de Turquie en 2013.
"Les coureurs érythréens avaient des qualités intéressantes mais on ne le savait pas, et eux non plus, parce qu'il n'y avait pas d'ouverture" du pays.
- Altitude et colonisation -
Héritée de la colonisation italienne entre 1885 et 1941, la pratique du cyclisme est profondément ancrée dans la culture érythréenne. Les compétitions y sont fréquentes, et "d'un niveau élevé", souligne Michel Thèze.
Avec une grande partie du pays nichée entre 1.800 et 3.000 mètres d'altitude, les coureurs possèdent des capacités physiologiques exceptionnelles.
Sur ce relief accidenté, ils développent de solides qualités techniques. "J'ai constaté qu'ils étaient très adroits notamment en descente, contrairement à la plupart des autres Africains qui grimpaient bien mais chutaient souvent", souligne Michel Thèze. "Beaucoup commencent avec le VTT, ce qui est bon pour l'adresse".
En Afrique, ils écrasent la concurrence: depuis 2010, ils ont remporté huit des onze titres continentaux individuels sur route, et dix titres de contre-la-montre par équipe.
- "Vedettes" -
Leur réussite suscite une énorme ferveur, en Erythrée comme dans la diaspora. "Ceux qui réussissent sont des vedettes", confirme Michel Thèze.
Ils font figure d'ambassadeurs pour ce pays qui n'apparaît dans l'actualité que pour ses réfugiés fuyant un régime accusé de violer les droits de l'Homme, son implication dans le conflit en Ethiopie ou dernièrement pour son vote contre une résolution de l'ONU demandant la fin des combats en Ukraine.
En 2015, à leur retour du Tour de France, Daniel Teklehaimanot et Merhawi Kudus ont défilé dans les rues d'Asmara en liesse et été reçus par le président Issaias Afeworki.
L'engouement autour des coureurs érythréens s'est avéré parfois préjudiciable.
"En Europe, on s'est précipités sur certains jeunes, qu'on a lancés dans les grandes courses trop rapidement, on les a grillés", estime Michel Thèze.
La patiente ascension de Biniam Girmay, du CMC jusqu'à l'équipe pro Intermarché, est, selon lui, un exemple à suivre.
"Aujourd'hui, on les détecte plus tôt, à 18 ans, et on voit qu'avec une bonne organisation qui les fait progresser, on a un Biniam capable de gagner à 22 ans de belles courses européennes. Si ça continue avec un tel cadre, aucun doute qu'il y en aura d'autres car des coureurs de classe, il continue d'en sortir là-bas".
Pour son entrée dans son premier grand tour, Biniam Girmay (Intermarché-Wanty-Gobert Matériaux), a décroché vendredi la deuxième place lors de l'étape inaugurale du Giro, seulement battu au sprint par le Néerlandais Mathieu van der Poel.
(P.Toussaint--LPdF)