Tour de France: Marion Rousse "espère" faire du cyclisme féminin la "normalité"
"Faire que le cyclisme féminin à la télé ne soit pas une curiosité mais la normalité": la directrice du Tour de France femmes, Marion Rousse, rencontrée par l'AFP au siège d'ASO, "espère" installer son épreuve à deux mois de son grand retour le 24 juillet.
Les huit étapes de Paris vers la Planche des Belles Filles doivent permettre au public de "mettre un nom sur un visage" grâce aux deux heures et demie de production télé en direct chaque jour, souhaite-t-elle.
Question: Quelle a été l'idée dans le choix du tracé du parcours et son calendrier ?
Réponse: "L'objectif était de permettre au grand public de connaître le plus de coureuses, de mettre un nom sur un visage. Si on avait fait un parcours très montagneux, ça se serait toujours déroulé entre trois ou quatre filles. Là, il y en a pour les sprinteuses, les baroudeuses, les puncheuses mais également les grimpeuses. Evidemment, la montagne arrive à la fin pour garder le suspense jusqu'au bout (...) Et pour cette première édition, ça nous tenait vraiment à coeur de partir de Paris le jour de l'arrivée des hommes: c'est hyper symbolique, comme un trait d'union (...) En huit jours, on ne peut pas aller partout, donc si on veut explorer d'autres territoires, il faudra partir d'ailleurs (...) Mais le départ sera toujours juste après le Tour de France des hommes, ça permet de continuer le feuilleton. Sauf lors des années olympiques, il sera décalé en août."
Q: Le montant des primes, 250.000 euros au total, a été comparé aux 2,3 M EUR de l'épreuve masculine, le comprenez-vous ?
R: "Si on compare avec une course masculine de huit jours comme le Dauphiné ou Paris-Nice, on est au-dessus de la grille des hommes (le montant s'élève à 144.300 pour Paris-Nice, ndlr). Les primes sont presque un faux débat. On en parle beaucoup mais ce n'est pas de ça que les filles veulent vivre. Il est plus important de voir ce que le Tour de France femmes va apporter: l'impact médiatique qu'on va créer et l'argent venant avec pour avoir une stabilité financière et permettre aux salaires d'augmenter.
Q: Il se sont déjà élevé ces dernières années, à quel point cela a-t-il permis de hausser le niveau par rapport à vos années dans le peloton ?
R: "En six ans, ça n'a plus rien à voir. Dans les équipes WorldTeams, un salaire minimum a été instauré (27.500 euros par an en 2022, 32.100 l'année prochaine, ndlr). Avant, à part trois ou quatre filles rémunérées qui se battaient entre elles, les autres, comme moi, nous devions bosser à côté. Il y avait un grand écart de niveau. Je n'ai jamais connu les cars qu'elles ont maintenant comme les hommes: on se changeait dans le coffre des voitures. On avait le statut de professionnel, mais il n'y avait rien de professionnel. Je me suis retrouvé sur des courses avec des voitures à contresens (...) L'évolution s'est ressentie à la télé. Il y a des stratégies de course mises en place. Ce n'est plus la même fille qui gagne à chaque fois. Une homogénéité est apparue. Il fallait commencer par là avant d'avoir un Tour de France femmes."
Q: Pourquoi l'écart médiatique et financier entre le cyclisme masculin et féminin est-il tant supérieur à d'autres sports ?
R: "En tennis, les grands tournois sont en même temps. C'est facile de montrer les hommes et les femmes, complémentaire. En athlétisme pareil, plein d'épreuves différentes se déroulent dans un même stade. Les courses de vélo, à organiser, c'est totalement différent, c'est un sport itinérant. On a été à la traîne et, heureusement, ça a beaucoup évolué ces dernières années."
Q: Même si parmi ses 102.000 licenciés, la Fédération française de cyclisme ne compte que 12.000 femmes…
R: "On espère justement avec ce Tour de France donner des idées aux femmes et faire que le cyclisme féminin à la télé ne soit pas une curiosité mais la normalité."
Q: Faut-il des évolutions réglementaires des instances pour favoriser son essor ?
R "Il a été question à un moment de conditionner la licence WorldTour masculine à une déclinaison d'équipe au féminin, mais un grand nombre (d'équipes féminines) ont été créées. Très peu de formations masculines n'ont pas encore leur déclinaison féminine."
Q: Des patrons d'équipes comme Patrick Lefevere, à la tête de la formation Quick-Step, se sont longtemps montrés rétifs au cyclisme féminin...
R: "Finalement, il a investi dans une équipe féminine (NXTG, ndlr). Cette formation fait partie des 24 à disputer le Tour de France femmes. Comme quoi, même les réticents viennent au cyclisme féminin. En plus, on en a discuté ensemble, il est très content de ce partenariat: il m'a même demandé s'il pouvait venir sur une étape."
Propos recueillis par Clément Varanges
(F.Bonnet--LPdF)