Trail: "stresser son corps" pour rester performant, la quête permanente de Kilian Jornet
A 34 ans, le phénomène Kilian Jornet continue d'enchaîner les victoires dans les trails et les exploits en montagne, car il trouve toujours des moyens pour progresser et "stresser son corps" à l'entraînement, explique-t-il à l'AFP.
Dimanche, l'Espagnol dispute la Zegama-Aizkorri, un trail de 42,195 km avec un dénivelé positif de plus de 2700 m dans les montagnes du Pays basque qu'il a déjà remporté... neuf fois.
Q: Enfant, vous courriez partout ?
R: "Mes parents avaient un refuge dans les Pyrénées. Dès qu'on rentrait de l'école, ma soeur et moi on allait jouer dans la forêt qui était derrière, on allait se promener, grimper dans les sapins, les rochers, chercher et voir des animaux. Et le week-end on allait toujours avec mes parents sur les sommets aux alentours, donc des 3000 m. Pendant les vacances, on allait dans un massif montagneux, gravir un sommet, faire une traversée. Mon père était guide de haute-montagne, ma mère a toujours été passionnée. Il y a un côté découverte, qui a toujours été la source principale (de ma motivation). Et en compétition, c'est la même chose, c’est la découverte interne quand tu es dans la nature. Se rendre compte que c’est chez nous".
Q: Comment s'est construit votre carrière ?
R: "Ca a été assez progressif. Quand j’étais gamin j'avais beaucoup d'énergie, je faisais des activités mais sans aucun contrôle, j’allais me taper 150 km en vélo mais sans aucune idée. Et à 12 ans, je suis entré dans un centre de ski-alpinisme en Catalogne, là j’ai eu un encadrement, un entraîneur, une équipe, ça a été un moment important dans ma carrière parce que j’ai découvert qu’on pouvait faire les choses bien avec une structure, une périodisation. Et ça, c’est quelque chose qui m’accompagne depuis ce moment-là"
Q: Pensiez-vous un jour vivre de la montagne ?
R: "Non, jamais. Quand je discute avec mon ancien entraîneur quand j’étais jeune, même quand j’ai gagné les Championnats du monde junior, on ne pensait pas à l'objectif mais juste à s’entraîner. Il y avait ce côté: le sport, on n'est pas sûr d'en vivre, il faut étudier à côté. Je n’avais jamais pensé gagner de l’argent là-dedans. Jusqu’à l'âge de 20 ans, je mettais tout mon argent pour pratiquer, payer les courses, m’entraîner jusqu'à même parfois ne pas pouvoir payer ma facture d'électricité. Mais on s'en fichait de ne pas avoir d’électricité pendant un mois, l'important c'était la course. Je pensais que ça resterait toujours ma passion mais jamais ma profession".
Q: Les années ont passé et vous êtes toujours au premier plan. Comment réussissez-vous à rester performant ?
R: "Le corps évolue tout le temps, il y a des choses que je faisais jeune et que je ne peux plus faire aujourd'hui et inversement. Jeune, tu peux récupérer très vite, mais ton corps n'a pas l’expérience pour encaisser les choses, il faut créer beaucoup de volume et de dynamique qui vont perdurer dans le temps. A mon âge, aujourd'hui je ne peux pas améliorer beaucoup, mais je vois que si je trouve les bonnes séances et les moyens de challenger mon corps, la performance continue à monter. C’est hyper inspirant de voir des athlètes en athlétisme comme Eliud Kipchoge (double champion olympique du marathon, NDLR) qui est proche de la quarantaine et qui continue de progresser d’année en année".
Q: On peut progresser en intégrant du yoga par exemple ?
R: "On entend souvent ça, le gars a commencé à faire du yoga et il a fait une progression. C’est bien le yoga, ou la diète, mais ce n’est pas ça qui va le faire progresser, ce sont des changements plus profonds. L’entraînement, c’est stresser notre corps, comment le stresser pour qu’il s’adapte à des nouvelles charges. Quand t’es jeune, c'est très simple, il faut mettre du volume et de l'intensité. Pour moi aujourd'hui, c’est juste trouver les moyens de mettre du stress dans mon corps qui en connait déjà beaucoup. C'est par exemple des séances en altitude ou avec des intensités différentes. Par contre en compétition, je fais davantage attention à la gestion de la course aujourd'hui avec un protocole pour l'alimentation pendant la course ou un protocole récupération entre les courses. Et ça marche aussi".
Propos recueillis par Sabine COLPART
(A.Monet--LPdF)