Le Pays De France - Sur les réseaux sociaux, le business sans scrupule de l'esthétique dentaire

Paris -
Sur les réseaux sociaux, le business sans scrupule de l'esthétique dentaire
Sur les réseaux sociaux, le business sans scrupule de l'esthétique dentaire / Photo: © GETTY/AFP

Sur les réseaux sociaux, le business sans scrupule de l'esthétique dentaire

Des traitements orthodontiques payés mais interrompus du jour au lendemain après la faillite d'une entreprise américaine, des kits de blanchiment dangereux pour la santé vendus en toute illégalité: le business sans scrupule de l'esthétique dentaire, promu abondamment sur les réseaux sociaux, fait des ravages.

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Sur TikTok ou Instagram, les influenceurs ont propagé la mode du "sourire Hollywood", des dents très blanches et parfaitement alignées, et dispensent leurs prétendus conseils pour obtenir le même résultat en un temps record.

Les produits mis en avant sont souvent très bon marché par rapport aux soins proposés en cabinet dentaire --dont les tarifs ne sont pas encadrés pour ces prestations esthétiques-- et non remboursés par la Sécurité sociale chez les personnes majeures.

C'est ce qui a poussé des millions de clients à croire aux promesses de l'orthodontie invisible "la moins chère du marché", en "quelques mois à peine", entièrement à domicile et "garantie à vie", de l'américain Smiledirectclub, à la publicité très agressive sur les réseaux.

Le principe: des gouttières transparentes vendues en ligne, à porter tous les jours pour redresser ses dents. Début décembre, ses clients ont cessé de sourire: l'entreprise a déposé le bilan et les informe qu'elle n'assurera pas la suite de leur traitement, leur conseillant de se tourner vers un professionnel de santé.

"J'ai fait un prêt pour ces gouttières, je n'ai pas reçu les produits mais je dois quand même payer", témoigne une cliente sur TikTok.

"Ces gens n'ont pas vu de dentiste, ils ne peuvent donc se retourner contre personne", explique la Dr Geneviève Wagner, de l'Ordre des chirurgiens-dentistes.

"C'est de l'exercice illégal de l'art dentaire à partir du moment où un acte est fait en bouche", rappelle David Couchat, de la Fédération française d'orthodontie. Pour autant, ces sociétés n'enfreignent pas la loi puisque le client est le seul à mettre ses mains dans sa bouche...

Autre brèche juridique: "il n'est écrit nulle part dans la loi que redresser une dent est un acte médical", regrette le Dr Couchat.

- Stylos blanchissants -

La publicité pour les aligneurs est autorisée: le Code de la santé publique estime que ces dispositifs médicaux présentent "un faible risque pour la santé humaine", au même titre que les lentilles de contact.

Faux, selon l'Ordre des dentistes, qui alerte les autorités sur de potentielles "complications sévères".

L'orthodontie n'est pas seulement esthétique, souligne le Dr David Couchat: "Aligner quelques incisives devant, ça peut être rapide, mais il y a tout un travail à faire ensuite pour la façon dont on va se servir des mâchoires pour mâcher".

"Certaines entreprises +posent un diagnostic+ sans intervention d'un professionnel de santé, ce n'est donc pas un réel diagnostic médical", dénonce lui aussi le Pr Christian Lequart, de l'Union française pour la santé buccale.

Un problème de fonte osseuse autour des dents, de déchaussement dentaire ou de maladie gingivale ne sera pas dépisté avec un simple scannage en ligne (comme le proposent ces sociétés sur internet), déplore-t-il. Et si ces actes sont réalisés sur une bouche malade, le risque à terme est de perdre ses dents, ajoute-t-il.

Bandelettes, stylos blanchissants, kits avec application de gel et lampes ou encore dentifrices: les autres stars des réseaux sont les produits blanchissants à des prix imbattables, autour d'une vingtaine d'euros pour la plupart, contre 300 euros à 1.200 euros pour un éclaircissement chez le dentiste.

La réglementation française et européenne encadre pourtant strictement cette pratique, généralement réalisée grâce à un composé chimique: le peroxyde d'hydrogène, dont la concentration ne doit pas dépasser 0,1% dans les produits en vente libre (contre 6% chez le dentiste).

- "Blanc lavabo" -

Cela n'a pas empêché l'influenceuse Poupette Kenza de faire la promotion de bandes blanchissantes de la marque Crest 3D White, qui dépassent largement ces taux et dont la vente est interdite en Europe. Fin novembre 2023, la DGCCRF a condamné la jeune femme à une amende de 50.000 euros pour pratiques commerciales trompeuses.

Selon le centre de transparence publicitaire de Google consulté par l'AFP, ces bandes étaient encore mises en avant à l'aide de publicités sponsorisées ciblant spécifiquement le marché français en janvier. La société Procter & Gamble, propriétaire de Crest, n'a pas répondu aux questions de l'AFP.

Or, en grande quantité, ces acides sont dangereux, d'autant plus s'ils sont appliqués sur des caries ou des gencives malades. Le dentiste, lui, va pratiquer un détartrage avant un éclaircissement pour enlever les colorations de surface.

Ce produit "éclaircit de plusieurs teintes, certes, mais il produit d'horribles sensations lors des repas chaud-froid", regrette un client de ces kits de blanchiment.

Il existe aussi "un risque de débordement du produit blanchissant" qui peut provoquer une irritation, voire une rétractation des gencives, premier signe du déchaussement dentaire, précise le Dr Lequart.

"Des éclaircissements dentaires sont réalisés chez des mineurs alors que la réglementation française l'interdit, tout comme pour les femmes enceintes (...). Sur les réseaux sociaux, le public visé est relativement jeune, soucieux d'économies. On peut avoir des désastres en termes de santé bucco-dentaire", ajoute-t-il.

Les marques promettent souvent de gagner "de nombreuses teintes", voire d'atteindre un "blanc lavabo" irréaliste. Or les produits qui respectent la réglementation ne peuvent pas donner de résultats miraculeux, contrairement à ce que laissent croire ceux qui en font la publicité.

Une "grosse arnaque", dénonce l'orthodontiste David Couchat: nombre de ces influenceurs exhibent en fait un sourire blanchi par des facettes (plaquées sur les dents), voire des filtres de beauté.

Cette mode des dents parfaite est d'autant plus dommageable, selon la Dr Wagner, qu'"à 20 ans, on a des dents en bon état".

(E.Beaufort--LPdF)