Brevets: des youyous à l'ONU pour célébrer le nouveau traité contre la biopiraterie
C'est par des youyous et des bruits de crécelle que les représentants des peuples autochtones ont célébré vendredi à l'ONU l'adoption d'un traité "historique" contre le pillage des ressources génétiques et savoirs traditionnels.
Plus de 190 pays membres de l'ONU se sont mis d'accord dans la nuit, par consensus, sur un traité - qualifié par tous d'"historique" - relatif à la propriété intellectuelle et la biopiraterie, concluant plus de 20 ans de négociations.
Le traité stipule que les déposants de brevets sont désormais obligés de divulguer les origines des ressources génétiques et des savoirs traditionnels utilisés dans une invention.
"Ce traité reconnaît enfin le rôle crucial" des peuples autochtones, a déclaré la représentante de leur groupe, ajoutant "ce n'est qu'un début".
"Nous ne sommes pas simplement en train d'écrire l'histoire, mais de jeter les bases d'un avenir durable pour tous", a-t-elle dit, longuement applaudie par les délégués, debout.
Les pays membres de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi) étaient réunis depuis le 13 mai à Genève pour conclure ces négociations, chères aux pays en développement et lancées après une demande de la Colombie en 1999.
"Aujourd'hui, nous sommes entrés dans l'histoire à bien des égards", a salué le directeur général de l'Ompi, Daren Tang.
- Sanctions -
Ce traité est le premier de l'Ompi sur les ressources génétiques et les savoirs traditionnels et le premier de l'organisation incluant des dispositions spécifiques pour les peuples autochtones et les communautés locales.
"Nous saluons le résultat obtenu, qui établit un juste équilibre entre la promotion de l'innovation et l'amélioration de la transparence dans le système des brevets", a affirmé le représentant des Pays-Bas, au nom de plusieurs pays occidentaux.
L'accord n'était pas joué d'avance: "Nous avons connu quelques hauts et quelques bas et je me souviens d'un bas très sérieux la nuit dernière", a-t-il dit.
Le traité entrera en vigueur une fois que 15 pays l'auront ratifié.
Le traité établit des sanctions, dont la définition a été la principale source de discorde. Certains pays en développement voulaient pouvoir facilement révoquer des brevets, tandis que les pays riches faisaient valoir que des sanctions trop lourdes nuiraient à l'innovation.
L'accord déclare que les pays doivent, avant d'appliquer des sanctions, donner la possibilité à un déposant de brevet de "rectifier" sa demande s'il a manqué à ses obligations en matière d'exigence de divulgation.
Par ailleurs, aucune partie ne peut "révoquer" ou "invalider" un brevet au seul motif que le déposant n'a pas communiqué les informations nécessaires.
Toutefois, un pays pourra mettre en oeuvre "des sanctions ou des mesures correctives postérieures à la délivrance" du brevet en cas "d'intention frauduleuse", selon sa législation nationale.
- Transparence -
L'objectif du traité est de lutter contre la biopiraterie en s'assurant qu'une invention est bien nouvelle et que les pays et communautés locales concernés ont donné leur accord sur l'utilisation de leurs ressources génétiques, telles que des espèces végétales, et de leurs savoirs traditionnels.
Cette transparence doit renforcer la mise en oeuvre du Protocole de Nagoya qui prévoit que les personnes fournissant des ressources génétiques ou des connaissances traditionnelles bénéficient d'avantages — monétaires ou pas — découlant de leur utilisation.
Les ressources génétiques - micro-organismes, espèces animales et végétales, séquences génétiques... - sont de plus en plus utilisées dans de nombreuses inventions, par exemple pour les semences et médicaments, qui ont permis des progrès considérables en matière de santé, de climat et de sécurité alimentaire, selon l'ONU.
Plus d'une trentaine de pays disposent déjà d'exigences nationales de divulgation. Il s'agit pour la plupart de pays en développement, dont la Chine, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud, mais aussi de pays européens, comme la France, l'Allemagne et la Suisse.
Mais les exigences varient selon les pays, et ne sont pas toujours contraignantes. Avec le traité, "nous sommes entrés dans l'histoire. Il s'agit d'une percée qui ouvre la voie à l'harmonisation des exigences en matière de divulgation", a salué le représentant de l'Iran, au nom du groupe des pays d'Asie et du Pacifique.
(C.Fournier--LPdF)