Bruno Latour, penseur de la crise écologique
Anthropologue du monde moderne, Bruno Latour, décédé dans la nuit de samedi à dimanche à l'âge de 75 ans, avait développé une réflexion brillante sur la crise écologique et la manière dont l'humanité peut y faire face.
Très connu aux États-Unis, Bruno Latour, également sociologue et philosophe des sciences, était un intellectuel inclassable, ancré dans son temps, soucieux de l'enquête de terrain, de l'observation.
Il passait pour un esprit "créatif, humoristique et imprévisible", selon le jury du prix norvégien Holberg de sciences sociales qu'il reçut en 2013.
Ce pilier de Sciences-Po, auteur de plusieurs essais parus en anglais avant d'être publiés en France, s'est longtemps intéressé aux questions de gestion et d'organisation de la recherche et, plus généralement, à la façon dont la société produit des valeurs et des vérités.
Il est l'auteur (seul ou en collaboration) d'ouvrages tels que "La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d'état", "La Vie de laboratoire", "Nous n'avons jamais été modernes", "Les Microbes. Guerre et paix" (sur Louis Pasteur) et le dernier "Où suis-je?" écrit en pleine crise du Covid.
Pour lui, les crises du changement climatique et de la pandémie ont brutalement révélé une lutte entre "classes géo-sociales". "Le capitalisme a creusé sa propre tombe. Maintenant il s'agit de réparer", avait-il confié en 2021 à l'AFP.
Il a résumé ses travaux pour le grand public dans "Petites leçons de sociologie des sciences" et "Cogitamus : six lettres sur les humanités scientifiques" et a élargi son audience avec un livre comme "Où atterrir ? Comment s'orienter en politique?" (2017).
Dans cet essai, il défend l'hypothèse selon laquelle "on ne comprend rien aux positions politiques depuis cinquante ans, si l'on ne donne pas une place centrale à la question du climat et à sa dénégation".
"Tout se passe comme si une partie importante des classes dirigeantes était arrivée à la conclusion qu'il n'y aurait plus assez de place sur Terre pour elles et pour le reste de ses habitants. C'est ce qui expliquerait l'explosion des inégalités, l'étendue des dérégulations, la critique de la mondialisation, et, surtout, le désir panique de revenir aux anciennes protections de l'État national", selon lui.
Bruno Latour, influencé par le philosophe disparu en 2019, Michel Serres, avait analysé le mouvement des "gilets jaunes" qu'il qualifiait de "migrants de l'intérieur quittés par leur pays".
- Invité à Harvard -
Il a été un des concepteurs de la théorie, nouvelle en sociologie, de "l'acteur-réseau" qui prend en compte, au-delà des humains, les objets (ou "non-humains") et les discours, ces derniers étant également considérés comme des "acteurs".
Né le 22 juin 1947 à Beaune (Côte d'Or) dans une famille de négociants en vin de Bourgogne, Bruno Latour a passé une agrégation de philosophie puis s'est formé à l'anthropologie en Côte d'Ivoire.
Il a ensuite enseigné dans des écoles d'ingénieur, l’École des Mines (où il était responsable du cours "Description de controverses scientifiques") ou le Centre de sociologie de l'innovation.
De 2006 à 2017, il a été professeur à Sciences-Po Paris dont il a longtemps dirigé les activités de recherche. Il a contribué à créer, au sein de l'école, le novateur master SPEAP (Sciences-Po Programme d'expérimentation en arts et politiques).
Auteur de deux pièces de théâtre, Bruno Latour a aussi enseigné à l'étranger, notamment en Allemagne et aux États-Unis, où il a été professeur invité à Harvard.
Il jouit d'une forte notoriété dans le monde académique anglophone, le New York Times ayant été jusqu'à le qualifier en 2018 de philosophe "le plus célèbre de France".
(O.Agard--LPdF)